Les 7 500 km de pistes et de routes qui reliaient la Chine à la Méditerranée à travers l’Asie centrale ont vu passer d’innombrables caravanes chargées d’objets précieux. Durant deux millénaires, l’argent, la culture et les religions y ont cheminé de conserve, d’oasis en caravansérails.
Par Alain Faujas
(article paru dans La Revue n°89, juin-juillet-août 2020)
Première tentative de mondialisation réussie, la route de la soie – qui a relié la Chine à l’Europe pendant plus de deux mille ans – a créé un formidable courant d’échanges commerciaux, financiers, culturels, scientifiques et religieux. Cela a valu à beaucoup de ses sites, disséminés sur 7 500 km, d’être classés par l’Unesco au Patri- moine culturel de l’humanité dans les pays aujourd’hui appelés Chine, Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan, Tadjikistan ou Turkménistan. Son appellation est due au baron allemand Ferdinand Von Reichtofen, qui l’inventa en 1870, mais avec un pluriel : « seidenstrassen ». Il avait raison, car ce sont plusieurs routes qui ont été tracées au nord de l’Himalaya entre les déserts du Taklamakan et de Gobi, mais aussi à travers l’Inde pour rejoindre la Méditerranée par la voie maritime.
Certains chercheurs estiment qu’une « route du jade » l’avait précédée, il y a sept mille ans. La route de la soie ne s’est donc pas créée d’un coup, mais vraisemblablement en deux temps. À l’est, les échanges ont d’abord circulé entre la capitale de la dynastie Han, Chang’an, et le Tienshan en Mongolie. À l’ouest, ils reliaient la Méditerranée à la Transoxiane et au fleuve Syr Daria. La connexion définitive entre les deux tronçons a dû s’établir après la mort du conquérant macédonien Alexandre, au IIe siècle avant J.-C.
MILLE DROMADAIRES ET CHAMEAUX
Les caravanes qui l’empruntaient pouvaient compter mille dromadaires et chameaux, capables de transporter chacun 200 à 250 kg de marchandises sur des étapes de 40 à 50 km. Des foules de chevaux et d’ânes, avec des charges plus légères, les accompagnaient. Grosso modo, tous les 25 km, un caravansérail disposant de capacités d’hébergement et de nourriture pour les hommes et les bêtes les attendait. Dans les plus importantes de ces oasis, comme Tourfan ou Samarcande, les marchandises changeaient de mains, car aucune caravane ne parcourait les 7 500 km de la route.
Ce courant commercial a fait naître au cœur des steppes une puissante économie et un système financier prémoderne qui nourrissaient « armateurs », négociants, interprètes, prêteurs, changeurs et soldats des troupes assurant leur protection (1). Selon la météo – fort rude, en été comme en hiver –, selon les taxes prélevées au fil des siècles par Gengis Khan, Tamerlan, les roitelets et les tribus traversées, et selon l’insécurité potentielle, les caravanes empruntaient la route nord qui aboutissait à Constantinople, la route sud qui rejoignait Bagdad et Antioche ou l’un de leurs très nombreux diverticules via la Perse ou la mer Noire. Sans oublier la voie maritime vers Alexandrie.
OR, MUSC, SANTAL ET AMBRE
Comme il coûtait très cher de faire voyager des marchandises si longtemps et au milieu de tant de périls, les produits transportés ne pouvaient être que de grande valeur et d’encombrement réduit. La soie arrivait en tête. Elle voisinait avec l’or, le musc, le santal, le jade, la laque, l’ivoire, l’ambre, les porcelaines, les perles, etc. Au fil des siècles, cet immense réseau a fait travailler ensemble Sogdiens, Indiens, Arméniens, Arabes, Perses, Ouïgours, Chinois, Tatars, Italiens, Juifs, Grecs, Russes qui ont acheminé ces merveilles à travers l’Asie centrale.
Ce faisant, ils n’ont pas brassé seulement des richesses matérielles, mais échangé aussi des valeurs spirituelles et des savoirs inestimables. Tout au long de la route de la soie, ont été partagées les grandes religions comme le confucianisme, le bouddhisme, le manichéisme, le zoroastrisme, le christianisme et l’islam. La Chine y a donné à l’Europe le papier et l’imprimerie. Celle-ci lui a fait découvrir le verre par retour de caravane.
Le XIIIe siècle voit l’apogée de la route due à Gengis Khan et à l’ordre qu’il fait régner en créant le gigantesque empire mongol, le plus vaste de l’Histoire, qui allait des Carpates à la mer de Chine et de l’océan Arctique à l’Inde. À partir du XVe siècle, le système commence à battre de l’aile. La préférence des puissances européennes pour rapporter d’Asie les épices par voie maritime, la méfiance chinoise à l’endroit des États musulmans et la poussée russe en Asie centrale tarissent peu à peu le flux des échanges transcontinentaux. Ils cessent dans la première partie du XIXe siècle.
Pendant ces deux mille ans, la route de la soie a consacré le rôle prééminent de la Chine, qui était alors la première puissance économique mondiale. La balance commerciale des échanges qui s’y réalisaient penchait lourde- ment en faveur de l’empire du Milieu… déjà.
1. Central Asia and the Silk Road. Economic Rise and Decline over Several Millennia, de Stephan Barisitz, éd. Springer, coll. Studies in Economic History, 2017, 287 pages.
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