Sous la Ve République, aucun des prédécesseurs d’Emmanuel Macron ne s’était impliqué dans ce qui apparaît nettement aujourd’hui, comme l’amorce d’une politique de l’État en matière de gastronomie. On ne connaissait guère leurs goûts que par les témoignages des cuisiniers de l’Elysée, ou par quelques opérations de communication, assez rares cependant. L’actuel locataire de l’Elysée, c’est toute la différence, considère que la gastronomie c’est la France, et réciproquement.
Lundi 4 décembre 2017, Emmanuel Macron recevait à l’Elysée une quarantaine de cuisiniers d’une douzaine de pays étrangers et de chefs français, tous nominés dans le classement « La Liste », qui devait être rendu public le soir même au Quai d’Orsay devant 250 invités triés sur le volet¹. A l’Elysée, dans le Salon des Ambassadeurs, un chef chinois, un Marocain, un Russe, des Américains, un Espagnol, un Mexicain et le nec plus ultra de la gastronomie française, notamment Guy Savoy (n°1 de La Liste), Alain Ducasse, Georges Blanc, Gilles Goujon, Guy Martin, Guy Job, associé de Joël Robuchon. Ils étaient tous invités par l’ambassadeur Philippe Faure, fondateur de La Liste et président d’Atout France.
La Liste, rappelons le, est le classement annuel, établi par un algorithme, des 1000 meilleures tables de la planète, obtenu par la compilation de plus de 550 guides gastronomiques, de notes des principaux sites d’avis en ligne et de chroniques spécialisées des grands medias. Un « classement objectif », dira l’un des participants, appliqué à « des jugements par essence subjectifs », précisera un autre. Une application dérivée de La Liste couvre 16000 restaurants dans 165 pays.
Ambiance bon enfant, détendue… Le président de la République est arrivé à 14h15 et s’est adressé à cette élite de la gastronomie mondiale en des termes inattendus, sans chercher à instrumentaliser cette initiative. Il a mis en avant le rôle des cuisiniers, affirmant que « les métiers de la main et du goût sont des secteurs d’excellence générateurs de vocations ». Avec humour, il a évoqué « le temps des chefs » c’est à dire celui de la formation « qui se fait de bouche à oreille ».
On peut « rêver de devenir cuisinier, on ne rêve pas d’être banquier d’affaires », a t-il ajouté sourire aux lèvres, avant d’annoncer les trois rendez-vous gastronomiques de 2018 : l’opération Goût de France au printemps (3500 restaurants planétaires à l’heure du Repas gastronomique des Français ; un « Davos de la gastronomie » à Paris, au début de l’été et la Fête de la gastronomie, fin septembre, sous la houlette d’Alain Ducasse.
Gastronomie en trompe l’œil à l’Elysée
Le Général de Gaulle aimait la soupe. Il en prenait même avant de se coucher. A l’un de ses familiers qui avait passé son tour, il envoya : « Vous avez tort Guichard, la soupe est un plat national ! Valéry Giscard d’Estaing fréquentait les tables étoilées. Peu après son élection, il se rendit chez Gérard Vié à Versailles. Le menu fut rendu public par l’AFP le soir même. «Cette visite m’a assuré dix ans de clientèle » a reconnu le chef, l’excellent Gérard Vié, qui a raccroché son tablier après 37 ans de métier au Trianon Palace, poussé vers la sortie par Gordon Ramsay. Lequel fut aussitôt gratifié de deux étoiles Michelin par son ami Jean-Luc Naret,. « Passe moi la rhubarbe… »
Giscard, dans le même ordre d’idée, avait remis à Paul Bocuse les insignes de chevalier de la Légion d’honneur, lequel, en retour lui « passa le Séné », en l’occurrence la fameuse soupe de truffes VGE, avant d’être nommé conseiller de Jacques Médecin, ministre du Tourisme de l’époque, qui eut le rare privilège, par la suite, de goûter – tourisme un peu spécial– la pitance carcérale.
François Mitterrand écumait les restaurants de poisson, notamment Le Dodin Bouffant puis Le Duc, et La Cagouille, où son repas, le samedi midi, se limitait dans les années 1990 à quelques huîtres suivies de céteaux (petites soles) poêlés. « Il a désacralisé la fonction présidentielle en fréquentant les bistrots », notait à l’époque, Gérard Allemandou, le jovial patron de cet établissement.
A l’automne, François Mitterrand aimait les interdits (bécasses et ortolans) dégustés à Urt, dans une auberge au bord de l’Adour. Mais il eut aussi une cuisinière cachée, à l’Elysée, pendant deux années de son second mandat, Danièle Delpeuch, à qui il demanda – un 10 mai jour anniversaire de son élection– de préparer la chaudrée charentaise « comme la faisait sa grand-mère ».
Rillettes-Corona ou langoustines-safran ?
Jacques Chirac s’est fait passer pour un amateur de tête de veau, le temps d’une photo chez Le Père Claude en 2002 qui fit la couverture de Paris-Match ; mais ce qu’il préférait par-dessus tout lors des campagnes électorales, c’était un sandwich aux rillettes vite avalé avec une Corona, bière insipide s’il en est. Cela ne l’a pas empêché de choisir la pomme comme un symbole de sa campagne électorale en 1995 !
Nicolas Sarkozy n’avait pour la table, ni pour l’étiquette, aucun goût particulier. Les dîners officiels ne devaient pas excéder 45 minutes. Au fameux cocktail-dinatoire du Fouquet’s, le soir de son élection, on apporta une pièce montée assez étrange, composée de riz soufflé et de roses des sables – un dessert que l’on fait faire aux enfants en maternelle pour la fête des mamans – composé de pétales de maïs enrobés de chocolat et amoncelés pour faire du volume. Une sorte de vision prémonitoire de la politique du quinquennat.
On sait assez peu de choses des mets favoris de François Hollande, sinon qu’il aimait partager des croissants chauds le matin. A la différence de Sarkozy qui ne buvait jamais d’alcool, François Hollande avait refusé de déjeuner avec le président Hassan Rouhani « parce qu’il n’y avait pas de vin à table ». Son dernier déjeuner à l’Elysée eut lieu le 2 mai 2017 en compagnie du roi du Maroc Mohammed VI : langoustine à la coriandre fraîche en entrée, turbot braisé au bouillon de homard avec des pommes moulées au safran de France pour la suite, du fromage, et une « douceur de printemps » en guise de dessert. Une douceur toute relative pour cet ultime déjeuner avec le Commandeur des Croyants.
Jean-Claude Ribaut
1- Entre autres : Andrei Shmakov du Saava à Moscou (premier restaurant en Russie) ; Ali Ben Baba de La Grande Table marocaine au Royal Mansour à Marrakech (top 3 des restaurants au Maroc). Wei Jie du Huai Yang Fu at Andingmen à Pékin (premier restaurant en Chine). Hiroshisa Koyama de Aoyagi à Tokyo (top 5 des restaurants au Japon). Éric Ripert et Maguy Le Coze du Bernardin à New York (deuxième de La Liste et premier restaurant des États-Unis) ; Franck Giovannini et Brigitte Violier de L’Hôtel de Ville à Crissier (premier restaurant en Suisse) ; Joan Roca du Celler Can Roca à Gerone (premier restaurant en Espagne) ; Raffaele Alajmo et Mariangela Spada du Calandre à Sarmeola di Rubano (premier restaurant en Italie) ; Heiner Finkbeiner du Schwarzwaldstube au Traube Tonbach à Baiersbronn-Tonbach (premier restaurant en Allemagne) ; Joachim Boudens de Hertog Jan à Zedelgem en Belgique (premier restaurant au Benelux) ; Martha Ortiz de Dulce Patria à Mexico (premier restaurant au Mexique).
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