À celle qui a bravé les drames du 20ème siècle et marqué le cours de l’histoire par sa vaillance, sa détermination, sa grandeur d’âme, sa grandeur tout court… Entretien réalisé en 1987.
« Bonjour Général. Entrez » En face de moi, une femme élégante me conduit courtoisement à son bureau. Sans sourire. Ses yeux clairs respirent pourtant la bonté. Je vois vite qu’elle ne nourrit aucune forme d’opposition vis-à-vis de moi ou de mes idées. Elle tient à me montrer, toujours sans sourire, qu’elle connait mes écrits. Même les plus récents. Pour me mettre en confiance ? Sans doute. En tout cas, elle connait ma fibre européenne et moi je suis plein d’admiration pour tout ce qu’elle a entrepris et réussi depuis qu’à 16 ans elle a quitté son lycée pour Birkenau.
« Posez-moi vos questions. Nous avons une heure » Commence alors un moment de bonheur intellectuel rare. Nous sommes à l’automne 1987, Simone Veil n’est plus la première présidente du Parlement européen, mais elle est toujours présidente du groupe libéral à Strasbourg et moi, général démissionnaire, je joue les journalistes pour publier un entretien de plus dans ma lettre mensuelle « défense active ». Simone Veil va succéder à Michel Rocard, à Raymond Barre, au roi Zaher Shah …
Est-ce à cause de ce dernier roi d’Afghanistan que la conversation s’oriente aussi vite sur le danger créé par l’invasion soviétique dans ce pays ? Peut-être. En tout cas, S.Veil reconnait qu’elle a eu très peur, beaucoup plus qu’au moment des émeutes de Pologne où « Les Soviétiques ne sortant pas des frontières reconnues depuis Yalta, les Occidentaux ne pouvaient que laisser faire. Rien de tel avec l’invasion de l’Afghanistan. C’était la première fois que l’URSS agissait directement, avec sa propre armée, en dehors du glacis mis en place à la fin de la guerre. C’était un grand tournant dans la politique soviétique. Il est frappant de constater que les pays non-alignés ont condamné cette invasion avec beaucoup plus de force que nous les Européens et nous ont même reproché notre manque de solidarité avec les Américains, notamment en ce qui concerne le boycott des Jeux Olympiques de 1980 à Moscou. Ces pays-non-alignés avaient raison ». Aujourd’hui, Simone Veil prônerait-elle le boycott de la Coupe du monde de football à cause de l’invasion de la Crimée ? Pas sûr : les circonstances sont trop différentes. Les habitants de Crimée n’ont vraiment pas les mêmes réactions que les Afghans face à l’invasion russe !
Autre sujet, encore presque d’actualité : l’éventuel désengagement américain en Europe. Au moment de l’entretien, Reagan et Gorbatchev négocient la suppression des missiles dits à portée intermédiaire. C’est l’option Zéro. Les Allemands sont de farouches partisans de ces négociations, le Président Mitterrand aussi. Le Premier ministre, Jacques Chirac est réservé. Quant au ministre de la Défense André Giraud (que je n’aime guère et qui me le rend bien !) il évoque l’esprit d’abandon de Munich. Qu’en pense la présidente du groupe libéral européen ? « Ces négociations » répond-elle « présentent tout à la fois des risques et des chances. Les risques sont ceux soulignés par André Giraud, ceux du désengagement américain en Europe, avec en plus un risque psychologique. Gorbatchev est en train d’abuser les esprits européens en faisant croire qu’il est l’homme du désarmement. Quant à la chance, c’est celle dont vous avez fait état dans votre article du Figaro, il y a quelques semaines et que j’ai moi-même soulignée lors du colloque organisé au Sénat avec le chancelier Schmidt. Cette chance est que les Européens vont être obligés de prendre conscience de leurs responsabilités en matière de sécurité. Ils ne peuvent plus se contenter de vivre douillettement à l’abri du parapluie militaire américain.
L’entretien se poursuit. Longuement. Les idées fusent : sa proposition de mettre des troupes françaises sur l’Elbe, la mienne d’installer des escadres allemandes en France… Rien de ce qui est européen ne lui est étranger. Parce que rien de ce qui est humain n’est en dehors de sa conscience. Il est tellement important d’éviter le retour des horreurs ! Les habituels sourires de politesse sont superflus. « L’essentiel maintenant est de faire des propositions concrètes. Il faut agir »
Aujourd’hui comme il ya trente ans !
Etienne Copel.
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