Le parlement tunisien aura fort à faire au cours de sa dernière session. En plus du parachèvement de la mise en place des institutions de la république, il sera amené à arbitrer le conflit entre le chef de l’Etat et le chef du Gouvernement. Un véritable cul de sac politico- constitutionnel.
L’Assemblée des représentants du peuple (ARP), le parlement tunisien, a ouvert hier sa dernière session parlementaire de la législature 2014-2019, sur fond de crise aigüe au sommet de l’Etat et dans un climat délétère marquée par l’éclatement du paysage politique avec 214 partis reconnus dont une vingtaine sont représentés au sein de l’enceinte parlementaire par au moins un député. Elus en octobre 2014, les 217 parlementaires qui ne se sont jamais retrouvés en totalité à l’intérieur de l’hémicycle, seront très sollicités avant les prochaines élections prévues dans une année. Pointés souvent du doigt pour leur désinvolture et leur absentéisme, ils sont pour la plupart considérés comme des cancres, peu investis dans leur mandat dont la nature n’est pas bien définie ni par la Constitution, ni par le règlement intérieur de l’ARP. Et si certains d’entre eux se sont illustrés par leur performance et leur capacité à influer sur la marche des travaux des commissions ou à agir dans le débat général, d’autres, au contraire, se sont distingués dans l’invective, la violence verbale, l’intimidation, et la brutalité des propos à l’égard du gouvernement ou de leurs collègues. Des écarts devenus un fonds de commerce pour eux.
Une image ternie.
Plus grave encore, l’image de la fonction parlementaire se trouve ternie par ce qui est appelé « le tourisme parlementaire » qui a affecté l’homogénéité des groupes dont seul celui du Front populaire (gauche) est, jusque-là, resté intact, gardant scrupuleusement ses 15 membres. Le plus affecté de tous est le groupe de Nidaa Tounes( Appel de la Tunisie), le parti présidentiel arrivé premier au cours de législatives d’octobre 2014 avec 86 députés. Il a connu une véritable hémorragie consécutive à la crise profonde qui a frappé le mouvement, perdant la moitié de ses membres. Et l’hémorragie ne semble pas s’arrêter après la guerre larvée entre le chef du gouvernement dont l’activité a été gelée au sein des instances du parti, et le directeur exécutif, soutenu par son père de président. Conséquence de cette guerre, un nouveau groupe a été créé et composé, en grande partie, de transfuges de ce parti, pour soutenir l’action du chef du gouvernement. Baptisé « coalition nationale », il compte à ce jour 47 députés. Il s’est emparé de la deuxième place derrière le groupe du mouvement islamiste Ennahdha (68) et recalant Nidaa derrière ( 43). Bien pis : parmi les corps suspectés de corruption, les députés arrivent en deuxième position derrière les fonctionnaires, selon les résultats de « l’Afrobaromètre » sur la corruption, présentés lundi 1er octobre 2018 par l’institut One to One. 30% des personnes interrogées estiment, en effet, que les élus de la nation sont corrompus, contre 31% pour les fonctionnaires.
Le vrai poumon du pouvoir.
La Constitution tunisienne de janvier 2014 qui a institué un système qualifié d’hybride avec un exécutif à deux têtes, un président de la république élu au suffrage universel mais aux compétences réduites face au chef du gouvernement, a fait du parlement le vrai poumon du pouvoir. Il adopte les lois, accorde sa confiance au gouvernement et contrôle son activité. Il peut même le destituer comme ce fut le cas, il y a deux ans, du gouvernement Habib Essid prédécesseur de l’actuel premier ministre Youssef Chahed. Mieux, « il est l’autorité qui élit tous les membres des cinq instances constitutionnelles indépendantes garantes du caractère irréversible de la démocratie ».
Le bilan de ces quatre dernières années n’est certes pas totalement négatif. L’Assemblée a voté 246 lois, mais elle peine encore à parachever la mise en place des institutions de l’Etat. La Cour Constitutionnelle qui devait être installée fin 2015, risque de ne pas voir le jour de sitôt, en raison des divergences entre les principaux groupes parlementaires autour des candidats dont un seul sur quatre a, jusque-là, été élu aux deux tiers des voix, conformément à la loi de cette juridiction. Composée de douze membres, choisis à égalité par le parlement, le président de la République et le Conseil supérieur de la magistrature, elle est « garante de la suprématie de la Constitution, et protectrice du régime républicain démocratique et des droits et libertés ». Et c’est elle qui règle « le conflit de compétences entre le Président de la République et le Chef du Gouvernement ». L’instance des élections se trouve, à son tour, en pleine tourmente à douze mois de prochaines échéances électorales. Elle est encore sans président et le renouvellement de son tiers se fait attendre. Il en est de même pour L’Instance de la communication audiovisuelle qui « est chargée de la régulation et du développement du secteur de la communication audiovisuelle, elle veille à garantir la liberté d’expression et d’information, et à garantir une information pluraliste et intègre » et dont la loi n’a pas encore été votée. Le secteur continue d’être géré, depuis 2013, par une instance provisoire.
Le parlement tunisien aura fort à faire au cours de sa dernière session. En plus de l’achèvement de la mise en place des institutions de la république, il sera amené à arbitrer le conflit entre le chef de l’Etat Béji Caid Essebsi et le chef du gouvernement Youssef Chahed. Ce dernier qui s’est émancipé de son mentor faisant prévaloir ses prérogatives constitutionnelles a, par contre, des affinités avec le principal parti, Ennahdha. Il refuse pour le moment de démissionner ou de solliciter un vote de confiance au parlement comme le lui demande expressément le président de la République. Un véritable cul de sac politico- constitutionnel.
Brahim Oueslati.
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