Ducasse-Sur-Seine, un avant-goût du paradis.

Le promeneur solitaire, s’il en existe encore sur les bords de la Seine à Paris, aurait pu assister à une bien curieuse cérémonie le 30 septembre dernier, vers 19h, près du Pont d’Iena, sur le quai Debilly.

C’est un lieu magique au pied du Palais de Chaillot, édifié pour l’exposition universelle de 1937, en remplacement de l’ancien palais du Trocadero d’inspiration mauresque et néo byzantine, dont l’écrivain Léon-Paul Fargue regrettait la destruction en 1935 : « La démolition du Trocadéro m’a fait de la peine. Je ne m’habitue pas encore au chef-d’oeuvre d’architecture hygiénique, au building de tempérance, au Niagara de yoghourt, au Cromlech intelligent qui l’a supplanté. »(Déjeuners de soleil. Gallimard. 1942). Combien étaient-ils ? Une centaine de personnes au moins qui se pressaient autour d’une femme de noir vêtue : Anne Hidalgo, Maire de Paris, en manteau redingote strict. Chacun tendait l’oreille pour l’écouter prononcer d’une voix ferme, le panégyrique d’Alain Ducasse, le grand chef cuisinier à qui Paris devait, selon elle, d’avoir obtenu l’attribution des prochains jeux olympiques. Applaudissements nourris. La cérémonie, notre piéton de Paris l’aura vite compris, était destinée à accompagner la première croisière du restaurant flottant, tout électrique, où 150 happy few allaient pouvoir festoyer.

« Personne ne s’attendait à une telle liturgie… »

La fin de journée était radieuse, les mines réjouies, les estomacs, bientôt, se laisseraient aller aux joies de la gastronomie. C’est du moins ce que leur annonça Alain Ducasse en personne, tout de blanc vêtu, ne laissant apparaître aucune des récriminations exprimées quelques jours plus tôt, lorsqu’il apprit que la concession des restaurants de la Tour Eiffel allait bientôt lui échapper. Un petit mouvement se dessina vers le ponton permettant l’accès au navire de verre et d’acier. Mais non, il fallut encore entendre le discours d’une personnalité de la Caisse des Dépôts, qui a déboursé une bonne partie des 11 millions d’euros nécessaires pour mener à bien la construction du chaland ; puis quelques mots plutôt bien sentis du parrain de l’opération, Stéphane Bern, tout sourire, et de la marraine, la navigatrice Maud de Fontenoy. Les estomacs commençaient à rugir d’impatience, d’autant que le champagne avait ouvert l’appétit. Et là, stupeur, un petit homme, revêtu d’une aube, tunique longue allant jusqu’aux pieds et de couleur blanche habituellement portée par les clercs, et d’une étole que portent les prêtres pour administrer les sacrements, prit la parole pour procéder à la bénédiction du bateau ! Personne ne s’attendait à une telle liturgie lorsque l’aumônier de la Batellerie entreprit de lire l’évangile selon Saint Mathieu : « Jésus monta dans la barque, et ses disciples le suivirent. Et voici, il s’éleva sur la mer une si grande tempête que la barque était couverte par les flots. Et lui, il dormait. Les disciples s’étant approchés le réveillèrent, et dirent: Seigneur, sauve, nous périssons! Il leur dit: Pourquoi avez-vous peur, gens de peu de foi? Alors il (Jésus) se leva, menaça les vents et la mer, et il y eut un grand calme. Ces hommes furent saisis d’étonnement: Quel est celui-ci, disaient-ils, à qui obéissent même les vents et la mer?

 Puis le prêtre prononça la bénédiction, par la parole et par le signe de croix. Personne n’osa relever le choix inapproprié de ce passage des évangiles, car il n’y eut jamais de tempête sur la Seine !

« Notre promeneur eut toute la soirée pour méditer … »

Aussitôt après les invités, affamés, se déplacèrent à l’intérieur du navire qui put bientôt appareiller. Le promeneur solitaire, hélas, n’eut pas le privilège de vivre cet avant-goût du paradis, préparé par la brigade de Francis Fauvel, ancien chef du Meurice, la daurade royale en gravelax, le homard bleu rafraîchi, vinaigrette coraillée ; le turbot au naturel, marinière de coquillages ni l’extraordinaire petit pâté chaud de pintade et foie gras et la coupe d’agrumes, granité campari ou le chocolat au croustillant de pralin (Vins : champagne, condrieu, puligny-montrachet 1er cru, saint-julien, sauternes)

Seul sur le quai, face à la Tour Eiffel, le piéton de Paris aura vu la Maire de Paris, s’éclipser discrètement, avant le départ silencieux du bateau électrique. Notre promeneur eut toute la soirée pour méditer sur les péripéties et l’ironie de l’Histoire. La Maire de Paris, d’origine espagnole ne peut ignorer que la bataille du Trocadéro est un fait d’armes datant du 31 août 1823 consacrant la victoire sanglante d’un corps expéditionnaire français (envoyé par Louis XVIII) sur les révolutionnaires libéraux espagnols à Cadix en Espagne ; une bataille qui rétablit l’autorité du monarque absolu Ferdinand VII. Il est douloureux, le ventre vide, d’avaler une couleuvre même vieille de 195 ans !

Jean-Claude Ribaut.

Ducasse-sur-Seine Port Debilly 75116- Paris. Tél. : 01-58-00-22-08

Croisières : au déjeuner de 100 à 250 € – Le soir : de 150 € à 500 €

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