ERDOGAN : l’article 16 permanent

Dimanche 24 juin, le chef de l’État turc, Recep Tayyip Erdogan, triomphait (52,6 % des voix)  après avoir remporté dès le premier tour un nouveau mandat aux pouvoirs renforcés …Il s’impose ainsi comme le dirigeant turc le plus puissant depuis le fondateur de la république, Mustafa Kemal…

Toute sa vie, le général de Gaulle a été marqué par le souvenir cuisant de la défaite de 1940. Parmi les causes de la débâcle -due pour l’essentiel à des choix militaires dépassés- une l’avait particulièrement frappé : la faiblesse de l’exécutif. Un président de la République sans pouvoir et un Président du Conseil sans autonomie ne peuvent pas faire face lorsque : « le malheur plane sur la Patrie et la menace pèse sur la République ».

Alors, lorsque revenu aux affaires, en 1958, il eut à proposer une nouvelle constitution au peuple français il inventa l’article 16 qui, en cas de circonstances exceptionnelles, donne au Président de la République le droit de prendre seul « les mesures exigées par les circonstances ». C’est l’institutionnalisation du pouvoir absolu. La mise en œuvre de l’art 16 est certes soumise à des conditions de fond mais le Président juge seul si elles sont remplies. En fait, comme les dictateurs romains, il fait ce qu’il veut comme il veut. Dans la rédaction de 1958, il n’y avait pas de limitation de durée à l’application de l’article 16. On pouvait donc soutenir alors que les pouvoirs qu’un Président pouvait se donner étaient encore moins limités que ceux des dictateurs ayant régné à Rome.

Depuis la loi constitutionnelle de juillet 2008, l’application de l’art 16 est contrôlée : au bout de trente jours le Conseil constitutionnel peut de plein droit vérifier si les conditions d’application des pouvoirs exceptionnels sont toujours réunies. Une dictature certes mais à durée déterminée … comme les contrats du même nom.

Le Président Erdogan s’est-il inspiré du général de Gaulle pour tailler, comme lui, une constitution à sa propre mesure ? Peut-être. Comme lui (sous l’art 16), il peut prendre toutes les mesures qu’il juge utiles sans demander l’avis du Parlement devenu simplement consultatif. Comme lui, il ne peut craindre le pouvoir judiciaire puisqu’il nomme personnellement tous les hauts magistrats … qui nomment les autres. Comme lui il ne peut être gêné par son Premier ministre puisqu’il a supprimé le poste. Comme lui, il est le chef des Armées …

Les points de convergence sont certes nombreux, mais le Président turc bénéficie lui d’un contrat à durée, en réalité, indéterminée puisqu’il bénéficiera des pleins pouvoirs jusqu’à la fin de son mandat et qu’il pourra, bien sûr, se représenter. Tranquillement.

Tranquillement ? Pas sûr. L’Histoire montre que peu de dictateurs meurent dans leur palais. Elle montre aussi que la route est souvent courte entre le Capitole et la Roche Tarpéienne.

Etienne Copel

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