Les hommages extraordinaires rendus à la mémoire d’un rockeur de second ordre marquent-ils l’avènement d’une nouvelle religion française ?
Je ne comprenais pas. Et je n’aime pas ne pas comprendre.
Je ne comprenais pas ces interminables files d’attente certains soirs devant le Bataclan, où je passe jour après jour, si longues qu’elles se prolongent et tournent dans la rue Oberkampf voisine. Il m’arrive de demander la raison de cet attroupement : un concert de rock.
Je ne comprenais pas la vue, dans les petits matins froids et humides parisiens, de ces groupes de jeunes filles et de garçons assis par terre, devant la même salle, à l’abri d’une pauvre couverture, attendant pendant des heures voire une nuit entière, l’ouverture du bureau de location pour être sûrs d’avoir des places pour un concert d’un groupe au nom totalement inconnu, un groupe rock, comme m’est inconnue cette musique qui ne me touche pas.
Je ne comprenais pas ce tsunami de réactions à l’annonce de la mort d’un chanteur, sans doute talentueux et certainement sympathique et généreux. Un héros, paraît-il, un élément du patrimoine national, pas moins, qu’aucun pays au demeurant ne nous dispute, même pas sa natale Belgique. Toutes les chaînes de TV sans exception avaient « craqué » leur programme pour d’interminables éditions spéciales, ceci plusieurs jours de suite. Oubliés Trump et sa dinguerie telle une grenade dégoupillée, une Californie en flammes…
Mais qu’avait donc fait de si « hénaurme » ce chanteur pour justifier ce que les Grecs anciens auraient appelé hubris ? Oublions qu’il pouvait frauder le fisc et que les paradis artificiels ne lui étaient pas inconnus. En son honneur, honneur auquel même De Gaulle n’eut pas droit, un cortège tout au long des Champs-Elysées dont toutes les bouches de métro furent fermées. Mais qu’avait donc fait ce Johnny Halliday, tel le duc de Guise plus grand mort que vivant, pour de tels honneurs ? Pour quelle amélioration du sort des hommes ?
La guitare et le goupillon
Et puis il y eut cette incroyable cérémonie en l’église de la Madeleine, avec pas moins de trois actuels ou anciens chefs d’Etat, accompagnés de leurs compagnes, se trémoussant parfois au rythme des guitares pourtant à la grande pauvreté mélodique et rythmique, une cohorte de ministres, de parlementaires, participant à cette cérémonie si peu laïque.
J’ai suivi avec une grande attention le maniement du goupillon aspergeant le blanc cercueil d’eau bénite. Hollande refusa après une discrète flexion, Sarkozy, toujours excessif, y alla à grandes eaux, Macron s’abstint mais pas son épouse. Toute une valse-hésitation avec la laïcité dans ce petit geste.
La démesure ne pouvait pas ne pas avoir un sens profond et cette cérémonie à La Madeleine nous l’a peut-être livré. Johnny Halliday, avec ce pseudonyme qui semble nous promettre d’interminables vacances, est l’apôtre sinon d’une nouvelle religion, mais au moins d’un nouveau courant du christianisme, le christo-rock n’roll. Les prophètes de cette nouvelle foi sont plutôt anglo-saxons, Presley et Beatles parmi les plus connus, si je ne m’abuse. Donc un christianisme œcuménique. Halliday était profondément chrétien a-t-on appris, portant toujours en évidence autour du cou, un crucifix. Un christianisme rock n’roll, évidemment, avec ses dérivés, mêlant à Jésus une pointe d’anarchie, de pseudo-révolte contre la bien-pensance.
Un prêtre l’avait compris depuis l’origine, le père Guy Gilbert, présent samedi et à qui fut confié à La Madeleine le soin de manier l’encensoir. Un nouveau christianisme avait surgi, le christianisme rock n’roll. Oui, le France est bien Rock n’roll, christo-rock n’roll, cicatrice de mai 68.
J’ai cru alors enfin comprendre. Les files devant le Bataclan ne sont que l’expression de ce nouveau sentiment religieux. Pas étonnant que les islamistes l’aient pris pour cible, lieu du scandale d’une nouvelle religion après l’islam qui prétendait être la dernière.
Il ne reste plus qu’à transformer les églises désertes en salles de concert rock.
Gérard Haddad
Soyez le premier à commenter