Les deux dernières années ont été décevantes. Plusieurs pays qui semblaient bien engagés dans la voie de la démocratisation comme la Turquie, la Thaïlande, l’Egypte ou la République démocratique du Congo, ont reculé. Il existe aussi, heureusement, des exceptions telles que le Nigeria ou la Tunisie. Même dans les démocraties bien établies, la confiance des citoyens dans leur classe politique, la participation au processus électoral ou l’adhésion aux partis politiques, autant de critères qui permettent de juger de la bonne santé d’un système, s’érodent d’année en année.
En fait, la mondialisation rend les pays de plus en plus interdépendants tandis que le pouvoir politique, lui, reste strictement national. A chaque élection, ce décalage se confirme : les candidats font campagne sur des thèmes nationaux puis, une fois au pouvoir, se trouvent confrontés à des problèmes internationaux très complexes sur lesquels ils n’ont que peu de prise. Ce qui rend leurs promesses de campagne d’autant plus difficiles à tenir. C’est cela qui produit le sentiment, éprouvé dans beaucoup de pays, d’une perte de souveraineté.
L’autre effet néfaste de la mondialisation, c’est qu’elle divise les sociétés entre gagnants et perdants. Un nombre limité de personnes et d’organisations – y compris criminelles – en tirent une profit maximum et s’enrichissent au-delà de toute mesure, profitant à plein des marchés globalisés pour se soustraire à l’impôt et, parallèlement, une proportion bien plus importante de la population voit ses revenus, au mieux, stagner. C’est ce déséquilibre que des populistes comme Donald Trump, Marine Le Pen ou Nigel Farage exploitent à des fins partisanes.
Face à ces démocraties en crise, les leaders des régimes autoritaires ou dictatoriaux, eux, font vibrer la fibre nationaliste et affirment que leur mode de fonctionnement, parce qu’il permet des prises de décisions plus rapides et non soumises aux aléas électoraux, est finalement plus efficace. Certains, dans les démocraties, ne sont pas insensibles à ces discours.
Cela dit, la démocratie, parce qu’elle repose sur une vraie légitimité, que ses dirigeants ont des comptes à rendre et que la liberté d’expression y est garantie, est finalement bien plus résiliente.
Depuis 1981, des chercheurs en sciences sociales d’une centaine de pays mènent de grandes enquêtes internationales sur les valeurs fondamentales auxquelles croient et adhèrent nos concitoyens, dans le cadre du programme World Values Survey. Il en ressort, de façon répétée, que les êtres humains ont une préférence naturelle pour la liberté de choix et l’autonomie, préférence seulement tempérée, parfois, par leur désir de sécurité. C’est ce dernier désir que les leaders autoritaires et les populistes essaient d’exploiter en jouant sur les peurs de leurs contemporains. Pour brider l’aspiration des électeurs à la liberté, ils leur présentent des ennemis, réels ou imaginaires.
Face à cela, notre devoir est de promouvoir la démocratie et les élections libres dans le monde. Pas seulement parce que nous pensons que ce système est le plus juste sur un plan éthique, mais aussi parce que nous estimons que c’est celui qui donne les meilleurs résultats en matière de paix, de développement, de respect de la loi et des droits de l’homme.
Comment devons-nous procéder ? Certainement pas en « exportant la démocratie » comme George W. Bush a voulu le faire en Irak. Mais plutôt en prouvant que le système fonctionne, en montrant l’exemple. Promouvoir la démocratie, cela commence dans nos propres pays. Cela signifie dire sincèrement aux électeurs ce qu’implique la mondialisation, avantages comme inconvénients. Cela suppose d’en partager les bénéfices équitablement, notament par le biais de taxes sur les plus riches de nos concitoyens. Enfin, les politiciens doivent tenir compte des attentes de l’ensemble de la population. Pas seulement de celles des groupes qui financent leurs campagnes électorales.
Kofi Annan
Secrétaire général des Nations unies de 1997 à 2006, lauréat du prix Nobel de la Paix en 2001
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