Christian Chatillon est l’auteur du livre « Le dernier « Parrain » français, François Marcantoni », aux éditions Jacques-Marie Lafont. Il nous parle de sa rencontre avec l’homme et de l’ouvrage. ( Crédit Photo de Christian Chatillon avec Marcantoni : Jean-Claude Figenwald)
« François Marcantoni, un nom qui a marqué de son empreinte l’une des plus fameuses mais encore fumeuses affaires que l’histoire criminelle de la Vè République ait eu à traverser. Elle s’est ancrée dans l’Histoire sous l’appellation d’origine incontrôlable d’ « affaire Markovic », du nom d’un jeune ressortissant yougoslave entré en 1966 au service d’une légende du 7ème art, l’acteur Alain Delon.
Mais la découverte de son cadavre dans une décharge des Yvelines en septembre 1968 va mettre sous les feux des projecteurs médiatiques, outre son protecteur Delon, le truand Marcantoni. Puis, assez rapidement, une rumeur bruit, enfle : Markovic, photo-stoppeur, aurait organisé des parties fines. Parmi les « personnalités » présentes, la femme d’un « homme politique » de 1er plan y aurait été vue. C’est le début d’une enquête filandreuse. Bref, sur fond de toile politique, une enquête criminelle s’est déroulée sur sept longues années, riches en rebondissements, et placée sous haute surveillance, au gré des intérêts ou/et des orientations politiques des acteurs, qu’ils soient policiers, magistrats, sans compter, bénéficiaires de fuites comme toujours orientées, journalistes gavés jusqu’à satiété de « révélations explosives ».
Débutée sitôt la mort du playboy Markovic, l’affaire va en effet se prolonger jusqu’en janvier 1976… sans avoir été élucidée ! Dieu sait combien les moyens mis en œuvre ont pourtant été déployés pour faire toute la lumière… Marcantoni avait été interrogé quelque temps après la découverte de lettres que Markovic, se sentant en danger, avait écrites à l’intention de son frère resté à Belgrade. Dans ces 3 missives, il désignait son hôte Delon « coupable à 10 000% » s’il lui arrivait quelque chose, ainsi que son « acolyte, François Marc Anthony, Corse boiteux, véritable gangster ». Libéré après sa garde à vue, il devait être arrêté quelque temps plus tard dans une boîte de nuit cannoise tenue par l’une de ses connaissances. Sans mandat d’arrêt, avec un déploiement inouï, jusqu’alors jamais vu, de forces de police pour le conduire jusqu’à un avion militaire et une escorte renforcée chargée de sa protection, voilà Marcantoni incarcéré à la prison Saint-Pierre de Versailles. Il va y rester un an avant de retrouver l’air libre. Son passé, son passif d’homme du Milieu, voilà de quoi ne guère plaider en sa faveur auprès des enquêteurs, du juge d’instruction et, tout naturellement, de la presse qui voit là l’occasion de remplir ses colonnes !
Lorsque son non-lieu arriva en 1976, dans des circonstances ubuesques relatées dans l’ouvrage, j’étais Thomas Pesquet dans sa relation actuelle avec les terriens ! Professeur coopérant à Meknès, dans le lycée où avait été élève l’ancien ministre des Affaires étrangères Michel Jobert, mes préoccupations étaient de goûter aux charmes des multiples paysages marocains et de m’enrichir de la culture et de l’hospitalité de ses habitants. Rien donc ne me destinait à rencontrer un jour cet homme. Et pourtant, et pourtant… a chanté Aznavour !
Plus de 20 ans après ces années de bonheur passées au Maghreb, outre l’enseignement, je faisais de nombreuses piges dans des magazines qui allaient de 30 millions d’amis à Playboy via Voici ou encore Nous-Deux.
C’est dans ce cadre journalistique que l’improbable, l’abracadabrantesque rencontre avec cet homme s’est produite, en 1999. Je la dois à 2 rédacteurs en chef qui m’avaient lancé en quelque sorte un défi. Après avoir tenu au sein de leur magazine l’Optimum une rubrique sobrement intitulée « Paroles de », après que d’éminentes personnalités du monde judiciaire, policier se furent exprimées, ils me sollicitèrent un « Paroles de voyous ». Et tout s’enchaîna. Mais avant d’avoir accès à François Marcantoni, quel chemin du combattant ce fut ! Enfin, après un long avis de recherches, je suis venu à lui. Je l’ai vu. Je n’ai pas vaincu pour autant sa carapace. Du moins dans l’immédiat !
Miracle de la communication ? Destinée ? Plusieurs mois après l’entretien qu’il m’avait accordé, c’est lui qui vint à moi ! Nous ne nous sommes dès lors plus quittés, jusqu’à sa mort, à l’été 2010.
Lorsque j’ai été sollicité récemment par un éditeur, proche parent d’un écrivain alpiniste célèbre dans les années 1960, Frison-Roche, pour rééditer une autobiographie de Marcantoni, nous sommes tombés d’accord pour envisager un tout nouvel ouvrage : relater une foultitude de souvenirs glanés auprès de cette personnalité si particulière. L’occasion de rendre aussi à César une part essentielle de ce qui lui a appartenu, une implication totale, entière dans la Résistance. Ouvrier artificier à l’Arsenal de Toulon, il venait de fêter ses vingt-deux ans quand il participa au sabordage de la flotte française, à Toulon. Il en avait à peine 23 quand, au sein du réseau MUR du Var, il s’acquitta au péril de sa vie des tâches qui lui étaient confiées. Le livre relate par exemple la lettre écrite au ministre de la Défense Charles Hernu, en 1984, par l’un de ses supérieurs, le capitaine Salvatori, particulièrement probant quant à sa conduite et émouvant quant à la teneur du témoignage. Ayant dû quitter précipitamment le Var où il était recherché par la Gestapo pour avoir fui le STO, il avait intégré les corps francs du Rhône. C’est dans le cadre d’une mission de surveillance en mai 1944 du n° 2 de la Gestapo lyonnaise, le second de Klaus Barbie, qu’il allait être arrêté à Paris. Incarcéré à la Santé par de « bons policiers français », il ne devait en ressortir libre qu’à la Libération… et faire son apprentissage du Milieu où, s’en s’en cacher le moins du monde, il « connut une certaine aura » !
Puis vint 1968 sous les traits de Markovic ! Outre la personne même de François Marcantoni, personnage à l’humour jamais pris en défaut, à l’esprit de dérision permanent, l’écriture de cet ouvrage met encore en exergue une valeur que l’époque à laquelle il a vécu plaçait au plus haut degré : l’amitié. Une amitié liée à ses origines insulaires. Car ce livre est enfin l’occasion de rendre aux Corses ce qu’eux m’ont apporté. Marcantoni, le tout premier que j’ai connu et à qui je reste redevable de mon « entrée en écriture livresque » ; mais aussi Pierre Ottavioli, « patron » légendaire de la Brigade criminelle du 36, Quai des Orfèvres, Mathieu L., officier de sécurité de Charles Pasqua. Un autre insulaire de renom, ancien membre de la cellule de l’Elysée, me le confiait un jour : « chez nous, l’amitié n’est pas un vain mot. On la donne ou pas. Mais quand on la donne, on ne la reprend pas. » Qu’importe que l’individu soit curé, berger, flic, préfet ou… voyou !La fréquentation assidue de Marcantoni m’en a convaincu.
« Un personnage de roman »
Contrairement à cette « mauvaise réputation » faite aux Corses, à travers certains membres du grand banditisme, plus visible du fait de la faible densité de l’île que sur le continent, l’immense majorité de son peuple est composée de gens travailleurs, fiers de leur appartenance à une culture, à une tradition d’hospitalité qu’il serait dommage et dommageable pour les jeunes générations de perdre. Sans fascination mais avec lucidité, je partage ce point de vue que m’avait livré l’avocat Jacques Vergès : Marcantoni est/était « un personnage de roman ». Comment ne pas songer ici à la fameuse formulation de l’écrivain Térence, latin d’origine berbère : « Homo sum. Nihil humanum a me alienum puto », traduisible en : « Je suis un être humain. Rien de ce qui se rapporte à l’être humain ne m’est étranger, je pense. »
Quoi de plus passionnant que l’Homme… dans sa diversité ! Ministre, SDF, gangster, autant de trajectoires que suit tel ou tel, avec ses forces, ses failles, ses faiblesses, ses fêlures.
J’ai eu l’immense chance de côtoyer, journalistiquement parlant, des hommes comme Robert Hossein, Dalil Boubékeur, Philippe Séguin. Des individus qui, à leur contact, vous font mieux pénétrer à l’intérieur de l’âme… ou/et de l’esprit.
Dans « le dernier « Parrain » français », rien de fictif. Du vrai, rien que du vrai. Outre la relation d’un assassinat devenu affaire d’Etat, l’ouvrage, au travers le parcours d’homme de François Marcantoni, condense ce que tout être humain recèle en chacun de lui… à des degrés divers. Ce que Montaigne résumait en ces mots de pérenne actualité :« C’est un sujet merveilleusement vain, divers et ondoyant que l’homme »
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