Mauritanie : le désert à livre ouvert

© Alain Faujas

Il n’y a pas beaucoup de parties du Sahara accessibles en toute sécurité pour les amoureux du désert. La Mauritanie offre depuis trois ans son Adrar, riche de cultures millénaires. Théodore Monod en avait fait son « diocèse ». Il est aujourd’hui loisible de l’arpenter à pied, à chameau, à vélo, en train, et sans crainte.
Par Alain Faujas
(article paru dans La Revue n°89, juin-juillet-août 2020)

Ce qu’il y a de fascinant dans le désert, c’est sa somptueuse nudité. La disparition de l’humus et de la végétation a mis à nu le squelette de la Terre dans l’Adrar, portion de ce Sahara qui compose la plus grande partie
de la Mauritanie.

À vrai dire, il ne s’agit pas d’un désert, mais de plusieurs. On y rencontre des regs lunaires avec leurs roches calcinées, des mesas tabulaires ravinées par des torrents fantômes, des houles grises et monotones rythmées d’acacias esseulés, des ergs blonds ou de couleur ocre ou sépia selon les heures, des monolithes nègres qui dressent leurs centaines de mètres de granit titanesque. Sans oublier les mirages où le soleil transforme en flaque scintillante la mince couche d’argile blottie au creux d’une vague cuvette.

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Dans ce vide, l’œil cherche désespérément un signe de vie, un peu de géométrie qui trahirait l’œuvre d’une main. Rien. L’oreille se tend à l’infini pour capter un son qui lui serait familier. Rien non plus. On apprend vite que la roche meurt elle aussi, émiettée par les conditions extrêmes qui lui sont infligées. Le sable, c’est du grès éparpillé par le temps et le temps, c’est du sable.

L’harmattan, « l’infatigable vent des espaces sans limites » qui a accompagné Théodore Monod (1) dans ses méharées, anime ces déserts. Au sommet du monolithe Aïcha surgi à la frontière avec le Sahara occidental, on l’entend chanter sur les aspérités du roc comme dans les ramures d’une forêt invisible, bien avant que ses rafales ne bousculent l’intrus. Au ras du sol, il étire une gaze de sable qui semble brume dansante. Il modèle les dunes comme de la neige pulvérulente.

Pour enchanter cette minéralité, il faut lever le visage pour contempler un immense semis d’étoiles et de planètes. Sur fond de velours nuit, Vénus fait la course avec le croissant de lune. Et Monod d’indiquer que « le Scorpion escalade les degrés du ciel. Calme. Paix ».

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L’AUBE DES TEMPS AUX PORTES D’ATAR

Fugace, la vie émerveille. Même rares et solitaires, la fourmi s’active et la  mouche importune. Deux moulas-moulas, traquets à tête blanche, semblent guidés vers un but connu d’eux seuls en voletant d’acacia en acacia. Peut-être venue d’Europe, une hirondelle spirale au-dessus des rochers. On salue le lézard. On sursaute au serpent. La gerboise tremble dans les mains de
Mohamed qui l’a dénichée près du camp. Le dromadaire – baptisé ici chameau – aux pattes entravées pour limiter son aire de pacage et l’âne en quête de melons sauvages sont plus nombreux, mais pas pour autant désireux de proximité humaine.

La vie se révèle Histoire. Elle a figé l’aube des temps aux portes d’Atar, capitale de l’Adrar, dans les champs de roches couvertes de stromatolites. Vaguelettes, torsades ou cônes, ces colonies fossilisées de cyanobactéries cousines des algues figurent parmi les plus anciennes formes d’activité biologique sur terre. Il y a plus de 3 milliards d’années, elles ont émis l’oxygène qui a radicalement transformé l’atmosphère de notre planète et stimulé la biodiversité dont nous sommes issus. Merci !

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La descente des millénaires s’accélère avec les abris sous roche où il y a très, très longtemps des pasteurs-artistes ont peint la riche faune et l’humanité vraisemblablement négroïde qui prospéraient avant que le Sahara se mue en désert faute de pluies. À Agrour, ils nous ont légué des antilopes, des oiseaux en vol, un soleil enfantin et une femme. Il faut de bons yeux et un peu d’imagination pour reconstituer ces ombres de chefs-d’œuvre. Pour Théodore Monod, notre chamelier de première classe, il ne s’agit pas « de grand art rupestre comme on peut en trouver au sud-ouest de la Libye, mais de graffitis libyco-berbères, assez récents, cinq ou dix mille ans maximum, et sans grand intérêt. Mais il est toujours émouvant de trouver des signes d’une vie antérieure ». Bravo !

Et voici Azougi, palmeraie assoupie à l’ouest d’Atar, qui s’éveille seulement en juillet et en août quand la récolte des dates, la guetna, bat son plein. Il y fait alors dans les 40 degrés, mais les familles affluent des grandes villes pour combler leur nostalgie de ces confins et des traditions nomades maintenues vaille que vaille par leur tribu et leur clan.

Là encore, il faut se forcer pour imaginer que cette bourgade aux portes et aux volets clos, hantée par les chèvres, a été au milieu du xie siècle la capitale des Almoravides – en arabe, les Mourabitounes. À l’origine simple confrérie de moines-soldats venue du Sénégal, ils ont tour à tour envahi le Maroc, fondé Marrakech et dominé le sud de la péninsule ibérique avant de céder la place, un siècle plus tard, à une autre confrérie berbère d’Algérie, les Almohades. Respect pour ce bercail d’un empire qui allait du Sénégal à l’Èbre et qui englobait Marrakech, Alger et Lisbonne !

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REQUIEM POUR LES ÉLITES DISPARUES

Il est une autre cité historique en état de survie : Chinguetti. La septième ville sainte de l’islam depuis le xiiie siècle est une mine d’antiques bibliothèques religieuses et scientifiques appartenant à des familles. Le minaret de pierres sèches de sa mosquée historique est de toute beauté.

Elle n’est pourtant que l’ombre de son glorieux passé. La faute aux dunes qui ont enseveli sa première implantation à Abweir et qui envahissent les rues de sa vieille ville, tout comme la mine de banco dont est tiré le matériau de ses maisons ? N’est-ce pas là le sort des villes oasis, Ouadane, Oualata, Tichit, qui, comme Chinguetti, jalonnaient la piste des caravanes montant vers le Maroc ou descendant vers Tombouctou et qui voient le désert asphyxier leur cœur avec la complicité du vent ?

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Monod avance une explication plus humaine. « Ces centres d’érudition ont été des ports sahariens dont la principale marchandise fut, des siècles durant, le Noir destiné aux marchés de l’Afrique mineure [l’Afrique du Nord], écrit-il. La suppression non de l’esclavage, mais du moins celle du commerce en grand des esclaves semble avoir non seulement ruiné le trafic transsaharien, mais détruit une certaine structure sociale et, indirectement, de précieuses valeurs intellectuelles dont la culture méthodique exigeait des loisirs et une indépendance matérielle gagés peut-être sur le travail servile et les profits du marché aux captifs. Le fait est-il bien spécial au Sahara ? » Requiem pour ces élites disparues et pour les populations asservies qui leur ont donné le loisir de faire fleurir la culture en plein Sahara !

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Dans ces déserts, l’homme est rare : tout le monde connaît tout le monde. Et le trafiquant de drogue sahraoui qui tente de traverser à toute vitesse les dunes du Tiris Zemmour entre Mali et Sahara occidental est tôt repéré et dénoncé par le berger qui hante ces solitudes et vite cloué au sol par les roquettes de l’armée de l’air. L’homme y est prolixe : autour de la fleur rouge du feu qui permettra de cuire la kesra, la galette de pain, dans le sable brûlant, Sid’Ahmed n’en finit pas de conter son peuple, ses légendes et les terribles sécheresses qui ont vidé l’Adrar de ses habitants. L’homme y est précieux et l’échange, vital : quand Ahmed et Moktar se rencontrent pour la première fois, ils partagent le thé et se donnent des nouvelles du chameau perdu, du puits à sec, de la cochenille qui raréfie les dattes et du fils employé au concasseur de la mine de fer de Zouerate, certes guetté par la silicose, mais qui gagne si bien sa vie. Un proverbe hassanya dit : « Celui qui ne s’occupe que de lui seul aura tôt ou tard besoin des autres. » Au Sahara plus encore.

(1) : naturaliste, botaniste, océanographe et professeur au Muséum d’histoire naturelle, Théodore Monod (1902-2000) a sillonné à pied le Sahara. Les citations de ce chercheur infatigable sont tirées de ses ouvrages Méharées et Terre et ciel.

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