Dans son dernier roman, Patrick Besson évoque non seulement l’épopée révolutionnaire soviétique de 1917, mais brosse aussi une fresque de générations de Russes.
À la différence des Français, qui ont bruyamment célébré, en 1989, le bicentenaire de leur Révolution (on se souvient du grotesque carnaval de marionnettes humaines dessinées par Jean-Paul Goude), les Russes ont commémoré le centenaire de la leur dans la plus grande discrétion, et avec la plus grande retenue.
Il faut dire que le changement de calendrier, décidé l’année suivante, n’a pas facilité le choix de la date anniversaire : en passant du calendrier julien (respecté encore aujourd’hui par l’Église orthodoxe russe) au calendrier universel (grégorien), le 25 octobre 1917, jour du déclenchement des événements qui allaient porter les bolchéviques au pouvoir est en effet devenu… le 7 novembre.
Ce qui a fait dire que la Révolution d’Octobre avait eu lieu en novembre : le genre de remarque idiote que Patrick Besson, qui en raffole, aurait pu faire si elle n’avait été déjà faite avant lui.
Et puis non, pour célébrer le centenaire de l’arrivée des communistes au pouvoir, Patrick Besson ne pouvait pas sombrer dans la plaisanterie facile. Il a choisi au contraire une voie ardue, compliquée, peut-être même douloureuse : s’en inspirer pour en tirer un roman, auquel il a donné un titre emprunté à Lénine : Tout le pouvoir aux Soviets (Stock, 2018).
Romancier à l’imagination fertile, Patrick Besson a eu la bonne idée de ne pas s’en tenir à l’évocation de l’épopée révolutionnaire : plus ambitieux que cela, il a brossé une fresque qui va des préparatifs de l’insurrection à nos jours, mettant en scène trois générations d’acteurs ou de témoins. Celle de 1917, qui fit la Révolution ; celle de 1967, qui en célébra le cinquantième anniversaire, à l’apogée de la puissance soviétique – et du Parti Communiste français – ; et celle de 2017, c’est-à-dire celle d’aujourd’hui, née après la disparition de l’URSS, l’effondrement du communisme, la perte des illusions – et des espérances.
Eclairs et pétillements
C’est en cela que le roman de Patrick Besson relève du tragique. Certes, Besson ne serait Besson s’il n’en avait pas émaillé chacune de ses pages d’un bon mot, d’un sarcasme, d’un rire sardonique. Même pour dire des choses graves, il ne peut s’en empêcher. Il lui faut à tout prix balancer des formules drôles, insolites, ou paradoxales. Du genre : « La nuit fut longue, donc courte » (!).
Mais il ne faut surtout pas sen tenir à ces éclats, à ces éclairs, à ce pétillement, à ce jaillissement. Et mesurer l’effort considérable que Patrick Besson, dont la carrière de chroniqueur a commencé à L’Humanité, le quotidien du Parti communiste français, a dû produire pour prendre la bonne distance avec ce à quoi il a cru, ce avec quoi il a sympathisé, ce pour quoi il a milité.
Sans jamais exhiber sa douleur, ni s’apitoyer sur lui-même – un peu comme les gens admirables capables de faire un sourire à ceux qui viennent présenter leurs condoléances – Patrick Besson a réussi un grand roman pathétique, dans lequel il raconte sans concession les insuffisances, les travers, les erreurs, les crimes même du léninisme, du bolchévisme, du communisme. Sans oublier ceux, plus nauséabonds encore, commis par la société sans idéologie qui a surgi sur leurs ruines.
Jean-Louis Gouraud
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