Les réseaux sociaux aiment s’enflammer pour tout et rien. Des jours-ci, c’est un putois de dessin animé qui a réussi à provoquer une absurde polémique où la mauvaise foi le dispute à la manipulation. Par Olivier Marbot.
Attention, polémique ! Nous sommes mi-mars 2021 et l’internet – francophone en particulier – est en émoi. Du Point au Figaro, de France Info à La Dépêche en passant par La Parisien et d’autres encore, c’est la surenchère. « Exit Pépé le Putois, accusé de promouvoir la culture du viol », titre l’un. « Pépé le putois français est devenu trop lubrique pour le public américain », renchérit l’autre tandis qu’un troisième souligne que le personnage de dessin animé inventé par l’équipe de Tex Avery, « considéré comme un harceleur », est « rattrapé par #MeToo ».
Visiblement, trop c’est trop et les commentateurs se déchaînent : encore un coup du politiquement correct imposé par les islamo-gauchistes féminazis LGBTQI+ adeptes de la « cancel culture », jusqu’où iront-ils (elles ?) dans l’absurde, c’est la séduction à la française qu’on assassine, etc.
Les plus appliqués remettent l’incident dans son contexte. Hier on proposait de déboulonner les statuts de personnages historiques liés au racisme ou à l’esclavage. On supprimait Autant en emporte le vent des catalogues de vidéo à la demande (faux). Le fabricant de jouets américain Hasbro passait à une version « non genrée » de son célèbre « Monsieur Patate » (complètement faux également). En bref : on marche sur la tête, le monde va dans le mur, halte à la dictature des bien pensants.
Chacun se positionnera comme il l’entend sur ces questions et il serait ridicule de nier que le politiquement correct existe ou que certains de ses partisans adoptent des positions extrémistes qu’il n’est pas injustifié de discuter, voire de refuser.
Le problème, en ce qui concerne les déboires de « Pépé le Pew » (en version originale), c’est que comme dans plusieurs autres cas cités plus haut, l’information est fausse. Quelques chasseurs de fake news sont remontés à la source, et livrent un version très différente de l’histoire, qu’il faut bien raconter ici pour appuyer le raisonnement.
Les faits sont les suivants : les studios Warner tournent actuellement Space Jam 2, suite du film Space Jam qui mélange acteurs réels et personnages de dessin animé de l’univers Looney Tunes. Le scénario prévoyait une courte scène durant laquelle Pépé, le fameux putois obsédé sexuel, se jetait avec appétit sur une actrice, laquelle lui lançait son verre à la figure avant de le gifler pour lui faire lâcher prise.
Un anti-héros toujours dépeint comme tel
Or le tournage du film, comme beaucoup d’autres, a subi quelques retards en ces temps de Covid, le réalisateur a fini par passer la main et son remplaçant a procédé à beaucoup de changements, supprimant en particulier cette scène (dont la partie animation n’était d’ailleurs pas encore dessinée). Et d’autres. A la même période, et c’est sans doute la source de la polémique, un chroniqueur du New York Times nommé Charles Brown écrivait, dans une tribune consacrée à la révision de livres pour enfants accusés de véhiculer des clichés racistes, que lui-même se souvenait d’un personnage de dessin animé de son enfance, Pépé le Pew, qui « normalisait la culture du viol ».
Certains jugeront sans doute l’expression outrancière, mais rappelons que depuis son apparition dans les cartoons de Tex Avery, Pépé a toujours été un personnage secondaire dont l’unique rôle dans les intrigues était de harceler des animaux femelles. Plus ses victimes se refusaient, plus Pépé insistait, entretenant son personnage de dragueur lourd (et français…). Bref : un anti-héros toujours dépeint comme tel, une source de gags jamais présentée comme un modèle à suivre, tout au contraire.
Autant dire que l’absence de Pépé au générique de Space Jam 2 ne risquait pas de traumatiser des générations de cinéphiles. Un journaliste du Hollywood Reporter, c’est son métier, passa quand même un coup de fil aux studios Warner afin de savoir s’il y avait un lien entre l’annulation de la scène et la chronique sur la « culture du viol ». La réponse fut claire : non. Question suivante : la Warner avait-elle au programme d’autres dessins animés mettant en scène l’odieux putois priapique ? Réponse : non là encore, ce qui n’a rien d’étonnant dans la mesure où Pépé n’a jamais été un personnage important de l’univers Looney Tunes.
Ni censure ni cancel culture, donc, aucune intervention de supposés lobbies féministes radicaux – qui auraient plutôt dû, logiquement, demander que la scène du film soit tournée puisqu’on y voyait la victime triompher de son harceleur. Pourtant la polémique est là, alimentée par les armées de trolls de la « réacosphère » toujours promptes à colporter, déformer et amplifier les nouvelles, vraies ou fausses, qui apportent de l’eau à leur pitoyable moulin.
Condoléances à Pépé le Putois : il ne méritait sans doute pas de si tristes admirateurs.
Olivier Marbot.
#pépéleputois
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