La plume au vent – Poétique de Mélenchon

A 65 ans, il ne se sent plus, il revit. Hollande l’avait humilié et dupé (« Hollande me méprise et je le lui rends bien ! »), il prend enfin sa revanche. Tandis que la droite n’en finit pas de lécher ses plaies, Mélenchon ne cache pas sa noire volupté devant l’agonie du P. S. et la détresse de ses anciens « camarades ». Des caniches ! Lui, c’est un pitbull : « Mes adversaires socialistes sont des chiens apprivoisés, moi je suis un chien enragé » !

Sans blagues ? Cela fait plus de quarante ans que cet intrus, ce trublion, cet « ennemi du système » n’a d’autre métier que la politique ! Il est toujours aussi sectaire, hargneux, intransigeant avec les imbéciles, c’est-à-dire (presque) tout le monde. Mais depuis qu’il a obtenu un « groupe » à l’Assemblée, il pavoise, il est heureux comme un chat qui aurait avalé une souris. Il se croit dangereux. Désormais, à gauche, il est seul, on va entendre Sa voix.

Cela ne l’empêche pas de récuser ouvertement la légitimité de la majorité présidentielle en invoquant le nombre des abstentionnistes dans le pays, comme si lui et les siens, miraculeusement exemptés de cette contingence, étaient d’autant plus légitimes qu’ils sont minoritaires. Grisé de sa prépondérance, il lève le poing devant les photographes avec ses séides et déclare en gros, et même en très gros, que la sédition s’imposera si la cause du peuple (en colère) l’exige. Les vieilles dames de Neuilly et les patrons du CAC 40 tremblent, ç’est ça qui l’enivre, plus encore que de flatter les vaincus (de la mondialisation) et de susciter de fausses espérances dans le cœur des « gens ».

Collectiviste en songe, il se prétend l’héritier de Jaurès sans l’avoir entièrement lu : sait-il que le fondateur de cet excellent journal, L’Humanité, a écrit une thèse sur « Dieu » et qu’il a fait baptiser sa fille (1) ? Peu importe d’ailleurs le fond de sa doctrine, c’est l’ego dominant et blessé, la rancœur, qui chez Mélenchon l’emportent. En attendant, requinqué et ravi d’être dans la lumière, il savoure son petit succès et se prépare à retentir dès avant l’automne – il sera dans l’hémicycle le « tribun de la plèbe » avec pour mission de contrecarrer par tous les moyens l’action du gouvernement d’Edouard Philippe, ce « vizir scélérat ». A l’en croire, ça va saigner.

D’ailleurs, il n’a jamais caché ses intentions : « Je n’ai plus du tout envie de me défendre de l’accusation de populisme. C’est le dégoût des élites — méritent-elles mieux ? Qu’ils s’en aillent tous ! J’en appelle à l’énergie du plus grand nombre contre la suffisance des privilégiés. Populiste, moi ? J’assume ! » (lexpress.fr, 16 septembre 2010). Devant Marine Le Pen, on s’indigne ou on baille – elle est un peu sotte. Avec lui, au contraire, on ne s’ennuie jamais.

Tout aussi « frontal » ou « frontiste » qu’elle, Mélenchon est plus histrion, plus comique, plus intellectuel aussi : il ne cherche pas à convaincre, il veut soumettre l’adversaire, l’abattre, le ridiculiser. C’est un littéraire. Ses armes ? L’incantation, le pathos, le sarcasme et parfois le mépris, jusqu’à l’insulte. Il préfère le harpon à l’épuisette – le cachalot d’Epinay étant une espèce en voie d’extinction, la chasse aux Républicains dits « constructifs » et autres « macroniens » ou «macron-compatibles » est ouverte.

Pas de sommation, pas de compromis. Mélenchon ne fait pas carrière, lui, il suit sa vocation. Il croit en son étoile : la France a été socialiste, elle sera mélenchonienne ! On le lui a dit, pour une fois lui, l’éternel opposant, n’est pas contre. A moins qu’à force d’enfler, ce Marseillais de fraîche date n’éclate comme la grenouille de la fable.

(1) Voir Jaurès le prophète. Mystique et politique d’un combattant républicain par Eric Vinson et Sophie Viguier-Vinson, Albin Michel, 2014. On y découvre, à rebours des simplifications, un Jaurès plus proche de Michelet que de Marx, plus mystique que matérialiste.

Frédéric Ferney

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*