Spécialiste des engrais, le chimiste allemand Fritz Haber aurait pu passer à la postérité comme un bienfaiteur de l’humanité ayant contribué à faire reculer la famine. Mais il a aussi choisi de mettre son savoir-faire au service de l’effort de guerre de son pays, pour lequel il a développé les premiers gaz de combat. Récompensé par un prix Nobel controversé, il a dû fuir son pays après l’arrivée au pouvoir des nazis. Mais c’est son travail qui a permis le développement du tristement célèbre Zyklon B.
Par le général Etienne Copel
(cet article a été publié dans le numéro 70 de La Revue pour l’Intelligence du Monde. Mars-Avril 2017).
2 juin 1920. La Grande Guerre est terminée depuis deux ans. à Stockholm, le roi Gustav V préside la fastueuse -cérémonie de remise des prix Nobel. Curiosité : deux chimistes -français ont refusé de participer à la compétition pour ne pas risquer de partager leur prix avec un collègue allemand nommé Fritz Haber. Deuxième curiosité : lorsque ce chimiste est appelé pour recevoir son prix, de nombreux sifflets dans la salle -perturbent l’habituelle sérénité des lieux.
Pourquoi ces sifflets ? Le récipiendaire est pourtant un chimiste de grand talent qui, avant la guerre, avait réussi la synthèse de -l’ammoniac en combinant l’azote de l’atmosphère avec l’hydrogène de l’eau. Mieux : il avait réussi à faire cette synthèse à un coût très raisonnable, ce qui permettait à l’industrie chimique allemande de fabriquer ses propres nitrates sans dépendre des gisements du Chili qui fournissaient jusqu’alors la quasi-totalité des besoins en engrais azotés de la -planète. En augmentant la productivité des terres agricoles, Fritz Haber pouvait se prendre pour un bienfaiteur de l’humanité. En tout cas le jury du prix Nobel de chimie avait décidé de le récompenser pour cela.
Dès le début des hostilités, la découverte de Fritz Haber se révéla fondamentale pour l’effort de guerre allemand car les nitrates non -seulement font de très bons engrais mais ils peuvent être à la base de toute une gamme d’explosifs. Or, après l’échec du plan Schlieffen qui aurait dû apporter la victoire à l’empereur Guillaume II en quelques semaines, le besoin en explosifs se révélait crucial outre-Rhin. Alors, le professeur Haber fut appelé pour faire exploser la quantité d’ammoniaque produite. Il obtint la démobilisation de tous les spécialistes concernés et la production d’explosifs nitrés permit à l’industrie -allemande de faire face à toutes les demandes du grand état-major.
Produire des explosifs en temps de guerre n’étant interdit par aucune Convention internationale, personne n’eut l’idée de critiquer Fritz Haber pour sa contribution essentielle à la fabrication des obus allemands. Mais, les « talents » de notre éminent professeur ne s’arrêtèrent pas là. Comme la guerre, contrairement à toutes les prévisions, s’éternisait ; comme les tranchées et les barbelés interdisaient la reprise de la guerre de mouvement, le général Falkenhayn, successeur du maréchal Moltke à la tête des armées allemandes, demanda à ses services de rechercher une arme nouvelle pouvant permettre à ses troupes de reprendre l’offensive et le chemin de la victoire.
« Le rétablissement de la mobilité était au fond un problème humain, remarque le major général John Frederick Charles Füler . Sans le fantassin les tranchées n’étaient que des enchevêtrements de fossés et d’obstacles. C’était l’homme qui, avec son fusil et sa mitrailleuse dans la tranchée derrière les fils de fer, leur conférait une valeur -tactique ; par conséquent la solution résidait soit dans leur -élimination, soit dans leur désarmement. » Les militaires allemands ne tardèrent pas à -trouver « la » solution : elle leur fut proposée par Carl Duisberg, président–directeur général de Bayer, membre du trust de l’IG Farben. Cette solution -consistait à utiliser deux sous-produits hautement toxiques de l’industrie des colorants : le phosgène et la chlorine. Duisberg, enthousiaste, n’hésita pas à tester les produits sur lui-même, ce qui lui permit d’écrire en 1915 à propos des effets du phosgène : « Je peux vous dire à ce sujet que j’ai dû rester couché pendant huit jours après avoir respiré cette horrible drogue pendant quelques instants. Si nos ennemis sont traités pendant plusieurs heures de suite avec ce poison volatil, ils seront mis hors de combat, à mon avis pour un laps de temps indéterminé. »
Répandre la variole…
Pour passer à l’acte, pour utiliser les merveilleux produits vantés par le directeur de Bayer, il fallait encore décider de passer outre aux stipulations de plusieurs conférences et traités internationaux. En effet, au xixe siècle, un courant de pensée puissant a cherché à rendre la guerre moins inhumaine. La Croix-Rouge fut créée par Henri Dunant à la suite des horreurs dont il avait été témoin lors de la bataille de -Solférino, en 1859. Et, dans cet esprit, la déclaration de Saint–Pétersbourg de 1868 énonça un principe fondamental du droit de la guerre : « Le seul but légitime que les états doivent se proposer durant la guerre est -l’affaiblissement des forces militaires de l’ennemi. » Ce principe, sans nul doute sain, fut rapidement considéré comme trop général et nombre d’auteurs, vite qualifiés d’idéalistes, rappelèrent certaines -abominations concrètes qu’il fallait absolument interdire -définitivement. Parmi celles-ci, l’une paraissait particulièrement odieuse. Elle avait été perpétrée par le colonel britannique Bouruet qui imagina de répandre la variole parmi des tribus indiennes rebelles à la -Couronne. Un -certain Sir Jeffrey Amherst se chargea de cette besogne en offrant aux Indiens deux couvertures et un mouchoir provenant d’un hôpital où étaient soignés des malades de la variole. Les tribus n’étant pas immunisées, il s’ensuivit une épidémie foudroyante qui « combla, paraît-il, tous les vœux du colonel. »
Les talents de persuasion de Fritz Haber…
Pour éviter la répétition de tels actes, la déclaration de Bruxelles de 1874 interdit dans son article XIII l’emploi de « poison et d’autres armes empoisonnées ». C’est ainsi que la guerre biologique fut -interdite avant la guerre chimique. Heureusement, les « idéalistes » du xixe siècle -continuèrent leur combat et la conférence de la paix réunie à La Haye en 1899 stipula que « les puissances contractantes s’interdisent l’emploi de projectiles qui ont pour but unique de répandre des gaz asphyxiants ou délétères. » Il est vraiment admirable de voir que ces armes chimiques ont été condamnées avant même d’avoir été produites, avant même d’avoir été essayées.
La plupart des états occidentaux signèrent cette déclaration. Seuls les états-Unis refusèrent de ratifier le paragraphe interdisant les gaz asphyxiants. Ils ne voulaient pas avoir les mains liées et d’ailleurs l’amiral Mahan avait affirmé que cette méthode de guerre n’était pas plus cruelle que les autres ! Quant à l’Allemagne non seulement elle ratifia la déclaration de La Haye mais, en 1907, elle signa aussi la Convention de Genève interdisant toutes les armes à base de produits toxiques.
Et pourtant, sans qu’il y ait eu, semble-t-il, de longues discussions au sein de l’état-major et du gouvernement allemand, en janvier 1915, le premier produit miracle du directeur de Bayer fut utilisé sur le front russe. Ce fut un échec car le gaz utilisé à base de bromide se solidifiait sitôt libéré et tombait en cristaux sur le sol gelé. Les Allemands avaient sous-estimé les rigueurs de l’hiver russe !
C’est alors que les talents de persuasion de Fritz Haber firent -merveille ! Il expliqua que la chlorine présentait de nombreux avantages par rapport au bromide : d’abord elle existait en très grande quantité dans l’industrie des colorants et puis surtout la firme BASF (Badische Anilin und Soda Fabrik) de Ludwigshafen venait de réussir à stocker ce gaz dans des cylindres métalliques beaucoup plus faciles à -manipuler que les récipients en verre habituels. Haber fit valoir aussi le fait que la chlorine était un gaz asphyxiant contre lequel les utilisateurs amis pouvaient assez facilement se protéger grâce à des masques peu onéreux. Ainsi, au cas où le vent changerait brutalement de direction et rabattrait les gaz vers les lignes allemandes, il n’y aurait pas trop de victimes amies à déplorer.
Auprès de l’état-major, Fritz Haber réussit à obtenir l’autorisation de -frapper un grand coup. Pour -bénéficier au maximum de l’effet de surprise il n’y eut aucun essai à petite échelle et globalement le secret fut assez bien gardé. C’est ainsi que dans son numéro du 9 avril 1915 le Times de Londres s’amusa à se moquer de la rumeur suivant laquelle les Allemands se préparaient à utiliser des « poisonous gas for our troops ». Pour le journaliste signataire de l’article il ne pouvait à l’évidence s’agir que de guerre psychologique pour inquiéter les combattants dans les tranchées.
Et pourtant, deux semaines plus tard, le 22 avril 1915, Fritz Haber profitant d’un vent d’Est régulier fit ouvrir à cinq heures du matin 5 000 fûts métalliques emplis de chlorine dans le secteur d’Ypres, en Belgique. Le maréchal britannique, Sir John French, décrivit en ces termes ce qui se passa alors : « Un observateur par avion a signalé qu’à l’heure indiquée il a vu une épaisse fumée jaune sortir de tranchées allemandes. Ce qui suivit est presque impossible à décrire. Sur toute la ligne tenue par la division française, l’effet de ce gaz était si brutal que toute activité militaire était rendue pratiquement impossible. Au début de l’opération, personne ne pouvait comprendre de quoi il s’agissait. Les gaz recouvrant le sol supprimaient toute visibilité. Des centaines d’hommes étaient morts ou agonisants. Au bout d’une heure la position a dû être abandonnée : des canons sont restés sur place au nombre d’une centaine environ. »
En fait, les pertes furent encore plus sévères que celles indiquées par le général French. Au total 15 000 hommes furent atteints, 5 000 -moururent. L’effet est terrible : le poison attaque les yeux, les bronches et provoque de graves hémorragies. Les hommes, se tenant la gorge à deux mains, sortent des tranchées en hurlant de douleur et en -crachant leur sang. D’autres, aveuglés, marchent à petits pas et tombent en agonisant.
Le suicide de sa femme, chimiste comme lui…
Heureusement pour la victoire finale, Fritz Haber n’avait pas été pleinement convaincant. Lui-même s’en est plaint : « Le commandement militaire l’a reconnu après coup : si l’on avait suivi mes conseils et préparé une attaque de large envergure, au lieu de faire une expérience vaine, l’Allemagne aurait gagné cette guerre. » Effectivement, si le haut-commandement allemand avait préparé des troupes pour -profiter de la brèche, il aurait pu se précipiter vers les ports de la Manche, isoler l’Angleterre et recommencer la guerre de mouvement. L’issue de la Première Guerre mondiale aurait probablement été différente. On peut même penser que dans ce cas des millions de vies humaines auraient été épargnées. Et Fritz Haber aurait même pu passer pour un bienfaiteur de l’humanité. Mais le commandement allemand ne voulait faire qu’une expérience et il y eut Verdun, le chemin des Dames… et la défaite.
Après le succès non exploité de l’attaque d’avril 1915, le -haut–commandement allemand voulut réitérer sur le front russe. Il -chargea très -naturellement Haber d’organiser la -nouvelle attaque. Sourd aux prières insistantes de sa femme Clara, éminente chimiste elle aussi, qui voulait l’empêcher d’être à l’origine de nouvelles horreurs, le docteur Haber accepta cette nouvelle mission.
Fritz et Clara s’étaient connus très jeunes et avaient voulu se fiancer lorsqu’ils avaient respectivement 18 et 15 ans. Mais les parents s’étaient -opposés au projet. Poussée sans doute par son admiration pour Fritz, Clara se mit à faire des études de chimie et réussit -brillamment. Elle fut la première femme à recevoir le diplôme de docteur de l’université de Breslau. Au cours de l’été 1901, devenus majeurs, ils se marièrent.
Avant même le début de la guerre, Clara chercha à dissuader son mari de continuer ses recherches concernant l’utilisation des gaz comme armes de guerre. Elle considérait que les découvertes de son mari étaient absolument contraires à l’éthique de la science et sans doute aussi à leur religion. Tous deux étaient juifs. Mais Fritz Haber était un nationaliste convaincu, voire exalté. Il estimait qu’un savant appartient au monde en temps de paix et à son pays en temps de guerre. Après les horreurs d’Ypres, Clara se fit encore plus pressante pour pousser son mari à refuser toute nouvelle mission visant à de nouveaux massacres. Mais, en mai 1915, il partit sur le front russe pour renouveler ses exploits.
La nuit de son départ Clara prit un revolver et se suicida. Réveillé par la détonation, son fils découvrit sa mère moribonde dans une flaque de sang.
Le 31 mai, la deuxième grande attaque à la chlorine sous la direction de Fritz Haber eut lieu sur douze kilomètres de front dans la région de Belimov, à quelque cinquante kilomètres au sud-ouest de Varsovie. C’était juste à l’endroit où, depuis le troisième partage de la Pologne, se trouvait la frontière entre la Prusse et l’Autriche-Hongrie. Ainsi les deux alliés purent à égalité profiter des « vertus » de la guerre des gaz. L’attaque fut impressionnante. Fritz Haber et l’industrie allemande avaient fait -merveille ! Pas moins de 264 tonnes de chlorine furent libérées à partir de quelque 12 000 cylindres métalliques. En dépit de l’ampleur des moyens employés, l’attaque ne permit pourtant pas une percée spectaculaire. Lorsque les soldats de l’infanterie allemande se ruèrent à l’assaut des tranchées russes ils eurent la surprise de voir qu’elles étaient toujours défendues. Les mitrailleuses, les canons et un grand nombre de soldats russes étaient encore prêts à les accueillir. Le nuage de chlorine fit un peu moins de 10 000 victimes dont près de 1 000 morts, mais le front ne présentait pas de trou béant comme sur le front français, quelques semaines plus tôt. Peu de temps s’était écoulé entre les deux attaques, mais il fut suffisant pour supprimer tout effet de surprise. Les Russes, prévenus par les Français, avaient réagi rapidement et distribué des moyens de fortune pour protéger les poumons de leurs soldats. Il ne s’agissait pas encore de véritables masques à gaz mais de simples tampons imprégnés d’hyposulfite de soude. La protection n’était pas parfaite mais elle était suffisante pour ne pas inverser le cours de la guerre.
Après l’échec relatif de l’attaque massive de chlorine sur le front russe, les Allemands cherchèrent à améliorer leurs techniques. D’abord, ils mirent au point des grenades à gaz qui permettaient de distribuer les produits toxiques avec plus de précision, moins de « gaspillage » que les lourds cylindres mis au point par Bayer. Et puis, surtout, ils développèrent de nouveaux gaz mortels dont la toxicité était mesurée grâce à la constante de Haber. Pour chaque gaz, elle donne la dose minimale de produit fatale à l’homme. Elle s’applique suivant la formule P=C/T, où C est la constante caractéristique du gaz, P le poids du gaz en milligrammes par mètre cube et T le temps d’exposition.
Réfugié en Suisse avec une fausse barbe…
Le plus meurtrier de ces nouveaux gaz fut le phosgène que Fritz Haber avait déjà développé bien avant la grande guerre. Il est pourtant moins connu que d’autres comme l’ypérite car il ne faisait pas de blessés. Avec le phosgène, les victimes mouraient dans les premières heures dans des souffrances atroces mais si au bout de quatre jours elles étaient encore en vie elles récupéraient complètement, presque sans séquelles autres que psychologiques. L’ypérite, au contraire, a fait des centaines de milliers de blessés dont les visages déformés par de profondes brûlures étaient encore visibles jusqu’à leur mort bien des années après la fin des hostilités. Appelée aussi gaz moutarde, l’ypérite était un liquide huileux particulièrement redoutable car ce vésicant agissait non seulement sur les poumons mais aussi sur toutes les parties de la peau qui entraient en contact avec lui. La protection contre ses effets était très difficile car l’ypérite agissait même à travers les vêtements. En outre, sa nocivité était durable contrairement à celles du chlore et du phosgène. Parfois il suffisait de s’asseoir dans un fossé plusieurs jours après l’épandage pour être profondément brûlé.
Fritz Haber eut un rôle important, voire fondamental (les -données précises manquent), dans la mise au point des gaz nouveaux car, à partir de 1916, il fut placé à la tête d’une fondation destinée « aux armes -nouvelles » qui employait 200 chercheurs.
Bien entendu, toujours au cours de la Première Guerre mondiale, mais avec quelque retard, les Alliés ripostèrent aux différents types d’attaques chimiques perpétrées par les Allemands. Ils employèrent des gaz de même nature. Néanmoins on estime généralement que les sujets des empereurs d’Allemagne et d’Autriche-Hongrie subirent dix fois moins de pertes que leurs adversaires. Au total, si l’on en croit une étude commandée par la Chambre des représentants des états-Unis, plus de 125 000 tonnes de produits chimiques toxiques furent employées faisant 1 300 000 victimes dont 100 000 morts. L’Encyclopædia Britannica, qui comptabilise sans doute moins les blessés légers, donne des chiffres quelque peu différents mais très précis : 800 000 victimes en tout dont 275 000 chez les Russes, 190 000 chez les Français, 181 000 chez les Anglais, 78 763 chez les Allemands et 70 552 chez les Américains.
Dans ce contexte, juste après l’armistice du 11 novembre 1918, Fritz Haber jugea bon d’émigrer incognito en Suisse affublé d’une fausse barbe. Il y retrouva Carl Duisberg, directeur de Bayer qui avait tant fait pour améliorer la production de gaz toxiques de ses usines. Dans un -premier temps, ils s’en trouvèrent bien car les Alliés -cherchèrent à -traduire en justice non seulement l’Empereur Guillaume sous -l’inculpation de « suprême offense à la loi morale commune à tous les peuples et au -respect des traités » mais aussi tous ceux -susceptibles d’avoir « commis des actes contraires aux lois et coutumes de guerre ». Haber obtint la nationalité suisse… en achetant son passeport au prix fort.
Cette nationalité nouvelle ne lui fut pas nécessaire très -longtemps car les Alliés abandonnèrent -rapidement les poursuites envisagées. Sans doute parce qu’ils ne se sentaient pas, eux-mêmes, au-dessus de toute critique : ils se contentèrent d’interdire, dans tous les traités de paix, l’emploi « des gaz asphyxiants, toxiques ou similaires ».Et Fritz Haber put très tranquillement se rendre à Stockholm pour recevoir son prix Nobel.
Très tranquillement ? Pas tout à fait car sa nomination suscita un véritable tollé chez la quasi-totalité des scientifiques de l’époque. La très fameuse revue Nature écrivit que les expériences de Haber sur les gaz asphyxiants furent « le prélude à la bataille d’Ypres et à cette forme de guerre qui déshonore le peuple allemand ». Quant au New York Times, il affirma le 27 janvier 1920 que « la sympathie générale se tourne vers les deux Français qui refusent de partager l’honneur du prix avec lui ». Le journal continuait avec humour : « On peut se demander pourquoi le prix de littérature qui récompense les œuvres d’imagination les plus riches d’idéalisme ne serait pas décerné à l’homme qui rédigeait chaque jour les communiqués du général Ludendorff. » Après la guerre, Haber continua ses recherches -concernant les poisons chimiques. Comme le traité de Versailles -interdisait à l’Allemagne toute fabrication d’armes toxiques, il s’abritait derrière une façade : la lutte contre les rongeurs et les insectes nuisibles qui ravageaient les silos de stockage de grains. De nombreux auteurs, comme Arkan Simaan de l’Association française pour l’information scientifique (AFIS), pensent que c’est son équipe qui mit alors au point le tristement célèbre Zyklon B qui, quelques années plus tard, fut largement utilisé par les nazis pour exterminer les Juifs.
Divorce, et investissements hasardeux…
Au cours de la décennie 1920, contrairement à de nombreux savants juifs comme Einstein, Haber ne se soucia guère de la -montée du -national-socialisme. Il divorça de sa seconde femme et fit des -investissements hasardeux. En janvier 1933, lorsqu’Hitler arriva au pouvoir, Haber se trouvait en France pour des raisons médicales. Il rejoignit rapidement sa patrie alors que la plupart des savants juifs -prenaient le chemin inverse. Après la parution du décret interdisant aux Juifs d’exercer dans l’administration allemande, Haber aurait pu rester en Allemagne car il faisait partie nominalement des rares -exceptions prévues par Hitler au profit de certains vétérans de la guerre. En -restant, il aurait toutefois dû congédier tous ses collaborateurs juifs. Il s’y refusa et reprit le chemin de l’exil . Geste tardif d’humanité ou simple peur, non moins tardive, des nazis ?
L’histoire ne le dit pas. L’histoire ne le sait pas.
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