Il avait échappé aux djihadistes. Âgé de 71 ans, Soumaïla Cissé, principale figure d’opposition du Mali, est mort en France vendredi du Covid, où il avait été transféré pour des soins. L’information avait été annoncée par un membre de sa famille à l’AFP avant d’être confirmée très rapidement par un responsable de son parti, l’Union pour la république et la démocratie (URD).
Soumaïla Cissé avait été enlevé le 25 mars alors qu’il faisait campagne pour les élections législatives dans la région de Tombouctou (nord-ouest). Il avait été libéré en octobre après avoir été otage pendant six mois d’Al Qaïda. Il avait recouvré la liberté en même temps que la Française Sophie Pétronin et deux Italiens, en échange de 200 détenus relâchés à la demande des groupes djihadistes.
François Soudan, directeur de la rédaction de Jeune Afrique et membre du comité éditorial de La Revue, avait recueilli le récit exclusif de cette détention, publié dans le numéro 91 (janvier-février 2021) de La Revue. « Je n’ai subi aucune violence, ni physique, ni verbale. (…) Cette épreuve ne m’a pas domestiqué. Elle m’a renforcé. Sans doute fallait-il que je la vive pour savoir que j’étais vraiment capable d’être un homme libre. »
Soumaïla Cissé était né à Tombouctou et a grandi à Niafunké. « Soumaila, c’est le fils de Niafunké, confie à Rfi Samba Bah, le maire de cette ville. Soumaïla, c’est tout Niafunké. Tout Niafunké se retrouve en Soumaila. Quand on dit Niafunké, c’est Soumaila. Quand on dit Soumaila, on pense automatiquement à Niafunké. Voyez ce que cela fait quand vous perdez un chef comme ça. »
Soumaïla Cissé était ingénieur-informaticien de formation. Il avait été formé à l’université de Dakar et à l’institut des sciences de l’ingénieur de Montpellier dont il était sorti major de sa promotion. Il avait débuté sa carrière au sein de grandes entreprises françaises (IBM-France, le Groupe Pechiney, le Groupe Thomson et la compagnie aérienne Air Inter) avant de rentrer au Mali en 1984 pour travailler à la Compagnie malienne pour le développement du textile (CMDT).
Nommé secrétaire général de la présidence en 1992, puis ministre des Finances en 1993, il s’était consacré dès lors à la politique. Après avoir été le président de la commission de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) de 2004 à 2011, il s’était présenté à trois reprises à l’élection présidentielle.
En 2002, il se veut le successeur d’Alpha Oumar Konaré mais il échoue face au populaire général Amadou Toumani Touré. Aux scrutins de 2013 et 2018, il s’était incliné face à Ibrahim Boubacar Keïta, renversé le 18 août par des colonels. Il ne cachait pas son intention de se présenter en 2022, et celui que les Maliens surnommaient affectueusement « Soumi » faisait même figure de grand favori. Madou Diallo, son ami de jeunesse et camarade d’université, était confiant, comme beaucoup : « Soumaïla Cissé avait compris que la conquête du pouvoir doit se faire autour de valeurs de fidélité, de loyauté, de probité, sur lesquelles il n’a jamais transigé. Cela a freiné son accession à la présidence. »
Les réactions sont nombreuses dans le monde entier. « Le Mali vient de perdre un grand homme, un intellectuel, qui aurait pu redresser ce pays et ramener la paix. »
Boubacar Karamoko Coulibaly, vice-président de l’Union pour la république et la démocratie : « Son combat ne sera pas vain. Il laisse en héritage le sens du combat qu’il a mené sur le plan politique : l’amour de la patrie, l’engagement pour le pays. Malgré tout ce qu’il a subi, l’homme est resté debout, au service du Mali, de la démocratie. »
Abdoulaye Wade – ancien président du Sénégal- : « Ainsi donc petit frère, tu es parti sans bruit. Calmement, avec le même sourire dont Allah, à ta naissance a structuré ton visage. Si je devais résumer ton long et dense curriculum, comportant un bloc scientifique et technologique, un bloc d’application dans les plus grandes usines de France et d’Afrique, un chemin politique parcouru aux trois quarts qui devait t’amener au Sommet de l’État, par un scrutin ouvert et démocratique, tu as été foudroyé par l’implacable Covid-19 tombé sur le monde et l’Afrique sans défense. (…) C’est l’Afrique qui a perdu un de ses meilleurs bâtisseurs. Lui était arrivé sur le chantier, la truelle à la main. »
Souleymane Ndéné Ndiaye, ancien Premier ministre sénégalais : « Tout le monde voyait Soumaïla comme prochain président du Mali, mais Dieu en a décidé autrement, c’est ainsi la vie, il ne nous reste plus qu’à prier pour le repos paisible de son âme au paradis aux côtés de ses parents. (…) C’est une grosse perte pour notre sous région et pour l’Afrique tout entière parce que Soumaïla, sa dimension et ses relations dépassaient même l’Afrique. Je l’ai rencontré dans tous les continents du monde, sa disparition brutale, vraiment, nous afflige et il ne nous reste qu’à souhaiter que le paradis Firdaws soit sa demeure éternelle. »
Pour Daouda Touré, secrétaire général de l’URD, « nous sommes tous aujourd’hui orphelins. Il représentait un grand espoir pour sortir définitivement de la crise multidimensionnelle qui a désorganisé notre Etat. Pour la majeure partie des Maliens, Soumaïla était la solution. Comme on dit ici, un grand baobab est tombé ».
Kofi Yamgnane résume les qualités de Soumaïla Cissé en trois mots : « Compétence, jovialité, empathie. » Pour lui, sa disparition est une « catastrophe ». Pour le Mali et pour l’Afrique.
N.P
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