Tunisie : controverses autour d’un limogeage.

C’est par un communiqué laconique des services de presse du chef du gouvernement que les Tunisiens ont appris, samedi dernier, « la disparition » du ministère de l’énergie, des mines et des énergies renouvelables. Un imbroglio politico-judiciaire de plus dont la Tunisie aurait pu se passer…

En effet, Youssef Chahed a décidé, tôt dans la matinée, de démettre de ses fonctions, le ministre Khaled Kaddour, en poste depuis seulement un an, son secrétaire d’état et trois directeurs généraux et de rattacher les services du ministère à celui de l’industrie et des PME. Il aura fallu de peu pour qu’un véritable déballage médiatique s’ensuive. Le porte-parole du gouvernement a été le premier à justifier ce limogeage surprise et ce que certains observateurs ont appelé « la décapitation » du ministère, une première dans les annales de la Tunisie. Il s’agit, selon lui, d’une affaire qui sent la corruption, reconnaissant la responsabilité indirecte du ministre limogé et de son staff.

Peu de temps après, le chef du gouvernement confirme la suspicion de corruption et affirme de manière péremptoire qu’il est « résolument engagé à poursuivre la guerre contre la corruption, car je ne crains que Dieu et je veille sur les richesses du pays qui m’ont été confiées par le peuple tunisien». « Il n’y a aucune ligne rouge dans la guerre contre la corruption et nul ne bénéficie de l’immunité dans cette guerre », a-t-il averti.

De quoi s’agit-il ?

Il s’agit, en fait, d’une concession d’exploitation d’un puits de pétrole aux larges de la région de Monastir( 170 kms de Tunis) qui, en 1979, a été  attribuée pour une durée de 50 ans, à El Aquitaine avant d’échoir en 2006 à un investisseur tunisien. Entre temps, un nouveau code des hydrocarbures a été promulgué au mois d’août 1999 qui, en accordant de nouvelles mesures incitatives aux investisseurs dans le secteur, a limité la durée des concessions à 30 ans, pour ceux qui veulent en bénéficier. Deux interprétations juridiques ont été données à cette affaire. Pour le gouvernement, le permis d’exploitation devait prendre fin en 2009, alors que pour l’investisseur, la loi n’étant pas rétroactive, son permis courra jusqu’à 2029. Cela reviendrait à dire que les ministres qui se sont succédé à la tête du ministère de l’énergie seraient tous responsables de cette maladresse et devraient, par conséquent, répondre de leur « omission ». Kamel Bennaceur, ancien ministre de l’industrie et des mines en 2014/2015, a réagi en qualifiant le limogeage de son successeur et du staff du ministère de « cinéma désastreux pour l’image de la Tunisie ». A son tour, le ministre limogé, réputé proche de l’UGTT, clame son innocence et accuse un conseiller proche du chef du gouvernement d’avoir monté cette affaire de toutes pièces, parce qu’il s’est fermement opposé à l’idée de la privatisation de la société nationale d’électricité et de gaz(STEG) qui est sous sa tutelle.

Sur fond de crise politique

Mais au-delà de cet imbroglio juridico-administratif, cette affaire intervient sur fond de crise politique au sommet de l’état entre le président de la république Béji Caid Essebsi et son chef de gouvernement Youssef Chahed (lire notre article du 26 juillet). Le jeune quadra qui se trouve, depuis des mois, dans le collimateur de son parti Nidaa Tounes dirigé par le fils du président et de la puissante centrale syndicale, l’UGTT, a pris, peu à peu, ses distances de son mentor et se conduit en véritable chef de l’exécutif et en champion de la guerre contre la corruption, même si elle qui commence à battre de l’aile. « Un chef c’est fait pour cheffer » a dit, un jour, l’ancien président Jacques Chirac. En deux ans, il a usé quatre ministres et un secrétaire d’état qu’il a limogés de manière fracassante voire mortifiante, alors que deux autres, Abelkefi et Ben Gharbia, ont anticipé leur révocation en présentant leur démission. Or, il s’avère que les noms des ministres relevés de leurs fonctions ont souvent été évoqués comme possibles remplaçants de Chahed à la primature. Ils ont, également, en commun, de n’avoir pas de soutien partisan. Le premier qui en a fait les frais est l’ancien ministre de l’éducation Néji Jalloul sacrifié un 1er mai 2017 sur l’autel de « l’alliance » avec la centrale syndicale qui, depuis, a pris ses distances de Chahed. A son tour, Fadhel Abdelkefi, ministre du développement régional, de la coopération internationale et des finances qui a démissionné de son poste sur fond d’une affaire judiciaire, a été, à un moment, pressenti, pour le poste de chef d gouvernement. Il en est de même pour le ministre de l’intérieur Lotfi Brahem limogé, dix mois après sa nomination, contre la volonté du président de la république. Khaled Kaddour, un expert en énergie, fils d’un ancien syndicaliste, figure, à son tour, dans « le short » liste des prétendants à la primature, avec le soutien de l’UGTT.

Cette affaire a relancé « les luttes de clans et de coteries au sommet de l’Etat », écrit le quotidien la Presse dans son édito d’hier et « la scène politique s’apparente à une véritable foire d’empoigne ».

Voilà qui résume le climat politique qui prévaut actuellement en Tunisie.

Brahim Oueslati.

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