Les Tunisiens commencent à perdre confiance vis à vis du régime politique et dans leurs dirigeants. Avec sept gouvernements en sept ans, la Tunisie, qui vit sous le régime de l’état d’urgence, ne saurait se permettre plus de gâchis.
La Tunisie vit, ces derniers temps, au rythme d’une grave crise politique qui plombe la situation générale du pays. Une crise au sommet de l’Etat entre le nonagénaire président de la république et le jeune quadra chef du gouvernement, contesté, essentiellement, par son parti Nidaa Tounes dirigé par le fils du président et la puissante centrale syndicale, l’Union générale des travailleurs tunisiens(UGTT), mais soutenu par d’autres forces politiques dont notamment le mouvement islamiste Ennahdha, premier parti du pays. Mais aussi par les bailleurs de fonds étrangers qui réclament une stabilité gouvernementale, comme préalable à leur soutien à la jeune démocratie tunisienne.
Au départ, tout devait se régler dans le cadre du « Document de Carthage », un accord signé en août 2016 par 13 partenaires entre organisations nationales dont les deux centrales syndicales et patronales et 9 partis politiques et qui avait présidé à la formation du gouvernement dit d’union nationale. Ce « Document » avait tracé une feuille de route qui devait être suivie par le nouveau premier ministre. Toutes les tentatives de trouver une sortie de crise ont échoué, ce qui a amené le président de la république, qui est l’initiateur de ce « Document » à le suspendre, lundi 28 mai dernier. Sortant de sa réserve que lui confèrent ses hautes charges de l’Etat, le président a, dans une interview télévisée, appelé, le chef du gouvernement à démissionner ou à solliciter un vote de confiance au parlement.
Le bilan du gouvernement, censé sortir le pays de sa crise économique et sociale, est jugé calamiteux par la plupart des observateurs. Malgré quelques éclaircies comme la légère augmentation du taux de croissance, plus de 2%, la plupart des indicateurs sont au rouge. L’inflation flirte avec les deux chiffres (7.8%), le taux de chômage reste toujours élevé( 15.4%), la dette extérieure dépasse les 70% du PIB, sans compter la dégradation du pouvoir d’achat, la pénurie des médicaments et les coupures incessantes d’eau potable en plein été…Tout ne plaide pas en sa faveur. D’où les appels à son départ.
La Constitution tunisienne adoptée en janvier 2014, qui a instauré un régime semi-parlementaire a, considérablement, rogné les compétences du président de la république, pourtant élu au suffrage universel. Placé à un poste prestigieux mais honorifique, il ne dispose pas de vrais pouvoirs pour agir sur le cours des événements. Un peu à l’image du président de la France en période de cohabitation. Il se trouve, des fois, confiné à inaugurer les chrysanthèmes. Par contre, elle accorde au chef du gouvernement des compétences plus élargies. C’est lui qui « détermine la politique générale de l’État et veille à sa mise en œuvre » et il n’est responsable que devant le parlement. Chose avec laquelle Béji Caid Essebsi(BCE), élevé dans l’école du régime présidentialiste, n’a pu s’accommoder. Il a trouvé le moyen de la contourner en créant un mécanisme parallèle sous forme de conclave où il a réuni les principaux acteurs de la scène politique et sociale qui ont signé, en août 2016, un pacte appelé « Document de Carthage ». Grâce à ce mécanisme, il a pu choisir un jeune qui lui est proche, Youssef Chahed, alors ministre des collectivités locales, que rien ne prédestinait à une telle promotion, pour remplacer l’ancien haut commis de l’état, Habib Essid poussé vers la porte de sortie. Mal lui a pris, puisque le jeune « poulain » a, depuis, repris du poil de la bête et s’est fait pousser des dents longues. Après avoir réglé ses comptes à son rival Hafedh Caid Essebsi, le fils du président qui dirige le mouvement présidentiel, qu’il a accusé d’avoir détruit le parti, Chahed a limogé avec fracas le puissant ministre de l’intérieur Lotfi Brahem, contre la volonté du chef de l’état. C’en est trop pour le président. Un crime de lèse-majesté, impardonnable de la part du vieux briscard de la politique tunisienne qui, du temps de Bourguiba, avait côtoyé les grands du monde quand il était à la tête la diplomatie et il continue de le faire, nonobstant son âge avancé ! Voire un parricide si l’on sait que sans Béji Caid Essebsi, Youssef Chahed n’aurait pas existé. Le cordon ombilical est coupé.
Aujourd’hui, tous les regards se tournent vers le parlement pour trouver une issue à la crise. La Constitution a prévu des mécanismes pour régler ce genre de différend. Le chef du gouvernement peut solliciter un vote de confiance sur la poursuite de l’action du Gouvernement. A son tour, le président, peut demander à l’Assemblée de renouveler sa confiance au gouvernement. Tout comme les députés ont le droit d’initier une motion de censure contre le gouvernement. Mais au vu de la configuration politiques au sein du parlement composé de plus d’une vingtaine de partis politiques et de plus dix groupes parlementaires disparates, personne n’ose faire le premier pas, du moins sans l’assurance d’obtenir la majorité absolue requise, soit 109 voix sur les 217.
Un véritable casse-tête.
Brahim Oueslati
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